« Dépister ou ne pas dépister ? Traiter ou ne pas traiter ? S’agissant des cancers de la prostate, la réponse n’est pas univoque ». C’est en ces termes que le Pr Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa) et le Dr François Bourdillon, directeur général de Santé Publique France, ouvrent le dernier numéro du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH), dédié à l’épidémiologie du cancer de la prostate, dans un éditorial commun.
Ce numéro du BEH met en lumière de nouvelles données qui peuvent guider la décision de faire un dépistage individuel ou ciblé : surveillance active et intérêt de l’IRM avant biopsie, qualité de vie à 10 ans de traitement ou encore facteurs de risque, tels que les infections génito-urinaires ou l’origine antillaise. Charge aux médecins d’en discuter avec leurs patients.
Un dépistage quasi généralisé
Mais ce dossier spécial dresse aussi un constat révélateur de la controverse en France. Malgré l’avis défavorable de la Haute Autorité de santé (HAS), le dépistage individuel du cancer de la prostate par le dosage des PSA reste élevé en France, révèle l’une des études réalisées avec les données de l’Assurance Maladie, sous la coordination du Dr Philippe Tuppin de la CNAM. Entre 2013 et 2015, 48 % des hommes de 40 ans et plus ont eu au moins un dosage de PSA, et ils étaient plus de 90 % entre 65 et 79 ans. Le plus étonnant est qu’une forte proportion des hommes de plus de 75 ans continuent de faire un dosage des PSA.
Le dépistage fait débat en France depuis plus d’une décennie. Confirmant un avis de 2004 émis par l’Afssaps, la HAS avait estimé en 2012, comme ailleurs dans le monde, que la balance bénéfices-risques n’était pas suffisamment favorable. L’Assurance Maladie reproche depuis 2012 aux médecins généralistes une prescription « massive » des PSA, souvent dans le cadre « d’un bilan de santé ». De leurs côtés, les urologues défendent le dépistage et en 2016 le secrétaire général de l’Association Française d’Urologie (AFU), le Pr Thierry Lebret, réaffirmait avec force l’intérêt des PSA.
Antécédents d'infections génito-urinaires
Les risques de surdiagnostic et de surtraitement sont au cœur des enjeux. Pour guider le patient, l’étude QALIPRO renseigne pour la première fois sur la qualité de vie à 10 ans du traitement. Il apparaît que les patients traités pour un cancer de la prostate ont davantage de dysfonctionnements urinaires (incontinence) et sexuels, mais il est intéressant de constater que la qualité de vie globale est comparable à celle de sujets témoins du même âge, même si des biais importants ne peuvent être exclus (population âgée moins concernée par ce type de problèmes).
Autre élément novateur, l’étude EPICAP montre une relation de cause à effet entre le risque de cancer de la prostate et les infections génito-urinaires, en particulier prostatite chronique et pyélonéphrite aiguë. L’inflammation chronique jouerait un rôle dans la carcinogénèse prostatique.
Une revue de la littérature est consacrée à la situation aux Antilles, où l’incidence et la mortalité sont plus élevées qu’en métropole. Le BEH en rappelle les raisons, l’origine africaine et la pollution environnementale majeure à la chlordécone, un insecticide très toxique utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993. Pour les auteurs, ce surrisque qui suscite « inquiétude et interrogations » mérite « des réponses adaptées aux spécificités de la population ».
En septembre 2016, l’étude ProtecT, publiée dans le « New England Journal of Medicine », a comparé pour la première fois l’efficacité des trois traitements du cancer de la prostate (surveillance, chirurgie, radiothérapie). Il apparaît que la mortalité spécifique à 10 ans reste faible quel que soit le traitement, avec néanmoins avec un risque majoré de métastases pour la surveillance. La décision du dépistage et de l’option thérapeutique doit faire plus que jamais l’objet d’une discussion avec le médecin pour « un choix éclairé » en « toute connaissance de cause », comme l’INCa le souligne, se référant aux objectifs du Plan Cancer 2014-2019.
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