DE NOUVELLES restrictions pèsent sur les préparations magistrales. Tout pharmacien souhaitant exécuter des préparations pouvant présenter un risque pour la santé, c’est-à-dire à base de substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR), a dû en faire la demande avant le 16 mai auprès de son agence régionale de santé (ARS). Il en est de même pour les préparations pédiatriques réservées au moins de douze ans, à l’exception des celles à appliquer sur la peau.
Comme si la profession avait besoin de cette nouvelle lourdeur administrative. Certes, les pharmaciens ne réfutent pas la nécessité de réglementer la fabrication de médicaments et d’imposer des règles d’hygiène et de sécurité au préparatoire. Ils s’accordent à dire qu’on ne peut plus confectionner gélules et comprimés comme il y a trente ans.
Il n’empêche, le décret N° 2014-1367 en date du 16 novembre dernier, et applicable depuis la mi-mai, dresse de nouveaux obstacles sur la voie du préparatoire. Découragés par cette nouvelle réglementation, de nombreux pharmaciens risquent de lâcher pilon et mortier. Du reste, selon les estimations, quelques dizaines de titulaires seulement ont déposé une demande auprès de l’ARS avant la date fatidique. Et c’est l’un des fondamentaux de la profession qui vacille aujourd’hui.
Perte de savoir.
« La préparation est emblématique de l’exercice officinal. Beaucoup de confrères se sentent amputés et vont renoncer au préparatoire pour s’adresser à la sous-traitance », regrette Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). Pour elle, ces nouvelles contraintes dépassent bien largement les limites de la paillasse. Elles soulèvent la question de la formation des pharmaciens, celle de la place du préparatoire dans l’officine, son aménagement et, plus grave encore, elles risquent d’entraîner « une perte de savoir et de connaissance ».
Pour y voir plus clair, la présidente de l’Ordre avait interrogé le 12 décembre dernier le directeur de l’Agence du médicament (ANSM) sur l’existence d’une liste des CMR susceptibles d’être utilisées dans les préparations magistrales. La réponse lui est parvenue trois mois plus tard sous forme de rappel de la réglementation européenne sur la classification, l’étiquetage et le conditionnement des substances. Rien de nouveau finalement depuis les bonnes pratiques de préparation (BPP) éditées en 2007 et la loi du 15 avril 2008. Si ce n’est qu’aujourd’hui deux substances, le borate de sodium et l’acide borique, sont définitivement mises à l’index. À moins d’avoir fait l’objet d’une demande d’autorisation… Sans celle-ci, impossible de confectionner un cérat de Galien. Ou de produire quelques litres d’eau oxygénée boratée. « Ce sont plusieurs classiques qui tombent à l’eau, alors que la préparation permet de suppléer l’absence de produits finis », regrette Christophe Koperski, président de la commission de l’exercice professionnel de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Lourdeurs normatives.
Hormis ces barrières, la profession dénonce un décret « amalgame » et n’hésite pas à parler de « confusion des genres ». « Ce décret fait référence à la fois aux préparations à usage pédiatrique et aux CMR. Il évoque les risques du patient et y mêle ceux encourus par le manipulateur. Dans ce cas, il concerne l’inspecteur de la pharmacie tout autant que l’inspecteur du travail », relève Fabien Bruno, directeur de la société Delpech, à Paris, spécialisée dans la sous-traitance de préparation magistrale. Et de souligner que deux ministères, sinon un troisième - celui de l’Environnement - seraient donc désormais concernés. C’est dire la complexité de ce nouveau texte.
Mais au-delà des CMR, c’est l’ensemble du préparatoire, de l’acide borique à l’eau distillée, qui est visé par les lourdeurs normatives croissantes. Un pharmacien s’interroge ainsi sur la fiabilité de sa balance dans un environnement dont l’air doit être renouvelé toutes les cinq heures. Un autre soulève la problématique de l’emploi d’huile essentielle de rose, de badiane ou encore de muscade « classés CMR par la Cooper ».
Normes inspirées du milieu hospitalier et mal adaptées à l’officine, contraintes plus coercitives que celles imposées à l’industrie, mais aussi logiques de coûts et d’organisation, les raisons invoquées par les pharmaciens sont nombreuses pour justifier leur abandon du préparatoire.
Des sous-traitants tout puissants.
C’est un fait, les normes, et notamment le décret du 14 novembre 2014 sur les CMR, contraignent en premier lieu les préparations allopathiques. Avec pour conséquence une concentration possible du marché du préparatoire sur les sous-traitants, seuls en capacité de relever le défi des normes et d’instruire des dossiers de demande. S’il est prématuré de préjuger de cette évolution et de ses effets sur le marché, certains sous-traitants observent déjà une augmentation significative de leur activité. L’un d’entre eux a ainsi déjà enregistré une hausse de commandes de 30 % depuis le 16 mai.
Une tendance à la hausse que l’on remarque depuis quelque temps. « Le déremboursement de nombreuses préparations et les textes précédents avaient déjà amorcé le mouvement », remarque Christophe Koperski.
Le dernier décret finira-t-il de précipiter la fin du préparatoire ? Au-delà de sa valeur symbolique, cette disparition annoncée des préparations en officine soulève aussi des questions de santé publique. En l’absence de locaux et de matériels adéquats, et surtout de savoir-faire, comment répondre à une prescription de préparation urgente présentée dans une officine éloignée d’un sous-traitant ? De manière plus générale, une profession qui aura perdu la main sera moins apte à répondre à l’appel des pouvoirs publics qui, pourtant, comptent sur sa réactivité en cas de crise sanitaire majeure.
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