À NOUVEAU, les pharmaciens sont dans le collimateur des opticiens. Cette fois, cependant, il s’agit davantage qu’une simple mise au point. Focalisant sa colère contre les officinaux qui vendent des produits d’optique en l’absence d’opticien, Synope, le syndicat des opticiens entrepreneurs, saisit le ministère de la Santé sur ces pratiques qu’il qualifie d’« illicites » et interpelle l’Ordre des pharmaciens « sur cet exercice illégal de la profession d’opticien ». Pire, il incite ses membres à la délation pure et simple des officines proches de leur magasin qui proposeraient un tel service et leur promet de relayer l’information auprès du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.
Dans la ligne de mire de ces opticiens sous enseigne : le partenariat d’une trentaine de pharmaciens avec la société Otiko qui, depuis dix-huit mois, propose « des lunettes à votre vue en pharmacie ». Cette offre consiste à présenter en officine un choix d’une centaine de montures et une solution de verres correctifs quatre fois moins cher que sur le marché des opticiens. Le patient, muni d’une ordonnance, réalise grâce à un logiciel sur ipad, une mesure de son écartement pupillaire permettant le centrage optique et la fabrication de verres sur mesure. Il commande ensuite ses lunettes à Otiko sur Internet, les règle par virement bancaire ou par carte bleue et vient les retirer à l’officine.
Synope dénonce cette pratique, rappelant que pour exercer une activité dans l’optique, le pharmacien doit être lui-même titulaire du diplôme d’opticien ou confier cette responsabilité à un opticien. Des exigences stipulées à l’article L.4362-1 du Code de la santé publique selon lequel seules peuvent exercer la profession d’opticien-lunetier les personnes titulaires d’un diplôme, certificat ou titre mentionnés aux articles L. 4362-2 et L. 4362-3. Et que rappelle Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Nous nous devons de respecter la réglementation, d’autant plus que nous-mêmes ne souhaitons pas que d’autres professions s’immiscent sur notre terrain sans y être autorisées », explique-t-il, dénonçant toutefois catégoriquement l’appel à délation.
Deux mètres carrés de surface de vente.
Les divergences entre opticiens et pharmaciens ne sont pas nouvelles. Il y a tout juste dix ans, l’autorisation de la vente de lunettes-loupes en pharmacie avait provoqué la fureur des opticiens. « Qui s’en souvient aujourd’hui alors que les patients sont désormais très contents de trouver ces produits chez nous ? », rappelle Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Sauf que, cette fois-ci, la discorde se déplace sur un nouveau terrain, celui d’Internet. Aucune des pharmacies partenaires d’Otiko n’accueille en effet d’opticien dans ses murs. De plus, aucun de leur titulaire n’est détenteur du diplôme d’opticien-lunetier. Tout juste réserve-t-il deux mètres carrés de surface au présentoir et une demi-heure d’explications au patient. Il revient à celui-ci de commander et de régler en ligne monture et verres. En retour, Otiko garantit une marge d’au moins 30 % au pharmacien. Une situation trop opaque pour Synope, qui use de cet argument pour attiser le foyer de sa campagne contre la pharmacie.
Otiko et la trentaine de pharmaciens placés sur son orbite ont une autre vision des choses. Ils se réfèrent à la loi Hamon. Fin 2013, la loi sur la consommation a en effet cassé officiellement le monopole des opticiens en facilitant la vente de lunettes et de lentilles sur Internet.
S’appuyant sur ce texte, Romain Freton, dirigeant d’Otiko, se défend formellement d’une quelconque distorsion de la loi. Il emploie des opticiens français, diplômés en France, qui travaillent au siège de sa start-up à Lyon. Ses verres sont fabriqués en Alsace par la société Verbal, concurrente d’Essilor.
Menaces anonymes.
Le pharmacien ne serait-il donc qu’un intermédiaire proposant l’optique au même titre que les semelles orthopédiques ? Et Otiko, comme il l’affirme, un génériqueur de lunettes ? C’est bien l’objectif poursuivi : proposer des lunettes en pharmacie à des tarifs tels que le reste à charge (470 euros en moyenne) est remboursé par la complémentaire. « Mon souhait était de donner accès à ma clientèle à des verres correcteurs de prix raisonnables et à des montures italiennes de bonne qualité. Je le conçois comme un service étant donné que 85 % des Français ne peuvent pas acheter des lunettes en raison de leur prix chez l’opticien », expose Michel Jeanjean, pharmacien à Saint-Raphaël. Immédiatement, en avril 2014, quand il a pris sa décision de proposer l’offre Otiko, le pharmacien a averti tous les ophtalmologistes et les opticiens de son environnement. Si les premiers ont été acquis à sa cause, d’autres ont tourné le dos à son officine. Accessoirement, cette activité qui ne lui demande aucun stock, ni aucune prise de risque sur paiement ; elle lui rapporte entre 1 000 et 1 500 euros de marge par mois, et bien davantage en terme d’image.
À une époque où pharmaciens et patients sont à la recherche de marge pour les uns, et de solutions économiques pour les autres, chacun s’accommode du concept Otiko. Ceci est particulièrement vrai dans les zones rurales où les pharmaciens sont convaincus de ne pas interférer sur le réseau d’opticiens. « Je ne l’aurais jamais fait s’il y avait eu un magasin d’optique dans notre commune », affirme Michel Portal, co-titulaire de la pharmacie du Meygal, à St-Julien-Chapteuil dans la Haute-Loire. « Notre clientèle, essentiellement âgée, doit parcourir 15 kilomètres pour trouver un magasin d’optique. Sans compter que les petites retraites que touchent ces anciens agriculteurs ne leur permettent pas de s’acheter des verres correcteurs chez l’opticien. Je me suis dit en voyant l’offre d’Otiko qu’on allait enfin pouvoir répondre à ces besoins », explique-t-il. Depuis janvier dernier, Michel Portal a vendu quarante paires dans cette commune de 2000 habitants. Mais il a aussi reçu des courriels assassins et des menaces anonymes. Cela ne le fait pas reculer. Comme ses trente autres confrères, bientôt cinquante, coopérant avec Otiko, il reste persuadé que le sauvetage des pharmacies rurales passera par des services tels que celui-ci.
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