La désertification médicale touche les zones rurales bretonnes, les îles, elle gagne le littoral en période estivale et, depuis peu, la périphérie rennaise… Le phénomène n'est certes pas propre à la Bretagne. Mais la solution envisagée sous la forme d'une expérimentation article 51(1) porte bien la marque des acteurs de cette région. Le dispositif OSyS a en effet été conçu par l'URPS pharmaciens de Bretagne avec l'association Pharma Système Qualité (PHSQ), en étroite collaboration avec l'URPS médecins et l'ARS. Cette prise en charge des soins non programmés de premier recours vise à fournir une réponse aux zones identifiées par l'ARS comme étant sous-dotées médicalement (ZIP, ZAC…).
Le concept ne vise pas à remplacer l'avis médical mais bien, lorsque le médecin n'est pas joignable, à s'en remettre au conseil du pharmacien afin de réduire le nombre de consultations médicales et de passages aux urgences inappropriés. OSyS prévoit ainsi 13 situations ou symptômes face auxquels le pharmacien peut agir : rhinite, douleur pharyngée, douleur lombaire, diarrhée, vulvovaginite, céphalée, constipation, douleur mictionnelle, conjonctivite, piqûre de tique, plaie simple, brûlure au 1er degré et dyspepsie fonctionnelle. Ce « triage » par l'officinal, inspiré du modèle suisse netCare, s'opère à l'aide des arbres décisionnels validés par le Comité technique d'initiatives en santé (CTIS), selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Son objectif ambitieux n'est pas de substituer le pharmacien au médecin, mais bien de pourvoir rapidement à la prise en charge des patients et, au besoin, de les orienter vers un cabinet médical, voire un service hospitalier. Pour chacune de ces situations, le pharmacien expérimentateur est indemnisé à hauteur de 15 euros.
Libérer du temps médical
Près de deux ans après sa mise en œuvre, le pari est tenu. Le CelEval (Cellule d'évaluation des expérimentations article 51) a rendu à la mi-mars son rapport d'évaluation de la phase 1 de cette expérimentation, soit les dix-huit mois de fonctionnement d'OSyS. Au cours de cette période, 37 pharmaciens bretons, essentiellement installés en zone rurale et formés spécialement à ce dispositif, ont appréhendé 1 500 « situations de triage ». Cinq d'entre eux ont enregistré 9,3 triages/mois. En moyenne, 2,76 cas ont été pris en charge chaque mois par chaque pharmacien breton contre 1,2 pour leurs confrères suisses participant au dispositif netCare. En général, sur les 13 pathologies retenues par OSyS, 6 ont été priorisées par les pharmaciens : plaies simples, brûlures, douleurs mictionnelles, angines, conjonctivites et piqûres de tiques.
Mais le constat le plus spectaculaire révélé par le rapport d'évaluation est sans aucun doute le succès atteint par l'orientation effectuée à l'officine. Ainsi 75 % des patients qui envisageaient de recourir aux services d'urgences ont pu, après leur prise en charge dans le dispositif OSyS, être orientés vers un médecin dans 37 % des cas, et dans une proportion quasi égale (38 %) être pris en charge par l'officinal. De même, 60 % des personnes qui pensaient initialement s'adresser à un médecin ont pu être traitées à la pharmacie. A contrario, la prise en charge par le pharmacien d'affections a priori bénignes a aussi permis d'identifier des situations nécessitant l'intervention d'un médecin, voire une hospitalisation en urgence. « 25 % des parcours envisagés en automédication sont finalement orientés vers un médecin (20 %), voire vers les urgences (5 %) entraînant une sécurisation du premier recours », relève le bilan (2).
Renforcer l'interpro
Ces parcours différenciés reflètent toute la pertinence du dispositif. La qualité de la prise en charge est d'ailleurs appréciée par les patients. Ils sont quasi unanimes (99 % ) à se déclarer très satisfaits et à apprécier la rapidité de la prise en charge, tout comme la disponibilité du pharmacien dont ils reconnaissent par ailleurs la légitimité. Ainsi, les patients suivent-ils globalement les orientations émises par le pharmacien. Pour autant, 87 % ont seulement pris connaissance du dispositif quand il leur a été proposé par le pharmacien. Et ce, en dépit des affiches présentes dans les officines « Passez-vous le mot pour les petits maux ! » et une communication largement relayée par les médias régionaux et nationaux.
Car le concept d'OSyS a fait l'objet de nombreuses diffusions dans la presse et sur le petit écran au point de susciter la convoitise de nombreuses régions. Six d'entre elles (3) se sont déjà positionnées pour dupliquer sur leur territoire cet article 51. Car l'évaluation, probante, laisse apparaître plusieurs points forts : contrôle de l'automédication, libération du temps médical et réduction des recours inappropriés.
« OSyS, dans cette première phase, a montré qu’il était possible de contribuer à une amélioration de la prise en charge du premier recours, pour les patients vivant dans les zones où l’accès à un médecin est difficile, en s’appuyant sur le maillage pharmaceutique et sur la compétence du pharmacien d’officine qui reste dans le champ d’une de ses missions obligatoires définies par la Loi HPST », commente Laetitia Hible, présidente de Pharma Système Qualité (PHSQ). Attentive aux évolutions du métier, l'association PHSQ, experte en montage de projets transverses, est à l'initiative. L'engagement dans la qualité n'était cependant pas un critère requis pour les pharmaciens expérimentateurs.
Des axes d'amélioration
Toutefois, comme toute expérimentation, OSyS est, par essence, perfectible. Ainsi, sur les cinquante pharmaciens qui s'étaient portés volontaires, treize n'ont pu rejoindre le dispositif. En dépit de leur adhésion au projet, ils n'ont pu s'y engager, en majorité en raison de tensions en ressources humaines. Ils invoquent ainsi le manque de collaborateurs pharmaciens disponibles et le manque de temps. Ils n'ont pas eu, pour certains, la disponibilité requise pour se former pendant une journée en présentiel. Il est vrai que la prise en charge au sein du dispositif OSyS est plus chronophage qu'un simple conseil au comptoir. Ce constat explique sans doute également que l'objectif numérique des 7 500 « triages », soit environ trois à quatre par semaine pour chaque pharmacie, n'ait pu être atteint.
Parmi les officines engagées dans l'expérimentation, 83 % reconnaissent avoir dû adapter leur organisation dans un contexte de ressources tendues. Car OSyS a révélé une voie différente de celle du conseil. « Le projet valide la cohabitation de deux services pharmaceutiques différents : le conseil pharmaceutique inhérent à la profession de pharmacien et OSyS qui correspond à des situations particulières. Les prises en charge par OSyS répondent ainsi à des critères bien spécifiques, comme leur valeur ajoutée par rapport au conseil. Elles restent également conditionnées à l'acceptabilité des patients », confirme Laetitia Hible.
Novateur, ce projet, adopté par la plupart des expérimentateurs, séduit déjà de nouveaux volontaires puisque 74 pharmaciens devraient être intégrés à la phase deux. Sans compter que cette expérimentation article 51 pourrait être dupliquée dans trois autres régions. Dans ces territoires également, la réussite d'OSyS dépendra d'une interprofessionnalité opérationnelle et de son corollaire, une réelle communication entre tous les acteurs, pharmaciens et médecins.
(1) La loi de financement de la sécurité sociale de 2018 a introduit, en son article 51, un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits.
(2) Données PHSQ communiquées lors des Entretiens de Galien en novembre 2022.
(3) Centre-Val de Loire, Occitanie, Hauts-de-France, Corse, Bourgogne-Franche-Comté et Guyane.
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