Le principal enjeu pour le pharmacien, dans le cadre de ses nouvelles missions, consiste à identifier le bon patient. « Il peut le faire soit de manière proactive, en se basant sur des critères physiques et en consultant une prescription, ou alors de manière détournée en croisant des données à travers des requêtes depuis son LGO pour faire remonter une liste de patients », explique Hélène Decourteix, fondatrice de la société de conseil La Pharmacie Digitale. Reste ensuite à créer des alertes pour le pharmacien et/ou à faire parvenir directement l’information au patient via des outils adaptés.
Un LGO au centre de l’écosystème
De l’avis général, c’est bien le LGO qui devrait, préférentiellement, permettre d’identifier les profils éligibles aux nouvelles missions. « Devrait » car, dans les faits, les logiciels métiers sont loin d’intégrer de telles fonctionnalités et se concentrent avant tout sur les usages pour lesquels ils ont été initialement créés. « Aujourd’hui, les LGO sont un frein, car ils ne vont pas assez loin dans ce qu’ils proposent », affirme Marilyn Fillet, responsable régionale réseau chez Mutualpharm. Même son de cloche du côté de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Nous souhaitons que les LGO puissent intégrer des modules aussi performants que ceux des Bimedoc et autres, ou a minima, offrir une passerelle entre les deux systèmes
Guillaume Racle, élu national USPO
Dans le cadre des entretiens pharmaceutiques par exemple, « seuls les fichiers PDF fournis par l’assurance- maladie ont été intégrés aux logiciels. Les LGO sont donc loin d’offrir la simplicité et l’efficacité que proposent certains systèmes spécialisés, conçus pour accélérer et faciliter les entretiens pharmaceutiques », détaille Guillaume Racle, coprésident de la Marne et élu national de l’USPO. Et de poursuivre : « À titre personnel, je pense que l’un des enjeux majeurs est que les logiciels utilisés par les pharmaciens intègrent pleinement ces nouvelles missions, comme le fait de faciliter la réalisation des bilans de médication. » Guillaume Racle plaide notamment pour que l’historique du patient s’intègre automatiquement dans le bilan, sans nécessiter de ressaisie manuelle. Pour combler ces lacunes, des solutions ad hoc dédiées à la mise en place des nouvelles missions pharmaceutiques ont vu le jour. Par exemple, Bimedoc, plateforme, pouvant être utilisée pour les entretiens pharmaceutiques, permet aux pharmaciens de gérer le suivi des patients, notamment en ce qui concerne lesdits entretiens. « Ce que nous souhaitons à terme, c’est que les LGO puissent intégrer des modules aussi performants que ceux des Bimedoc et autres, ou a minima, offrir une passerelle entre les deux systèmes », souligne Guillaume Racle. En bref, de l’interopérabilité. Car pour l’heure, si les solutions existent, « elles obligent à une gymnastique intellectuelle complexe », déplore Hélène Deourteix. De son côté, Marilyn Fillet constate : « Les pharmaciens ne souhaitent plus quitter leur logiciel, et c’est compréhensible. Ils ne veulent pas jongler avec plusieurs solutions. Si demain un outil unique est mis en place, regroupant toutes ces informations sur une seule fiche via le logiciel de gestion officinale (LGO), c’est banco ! » Un point de vue que partage Hélène Decourteix : « La finalité d’un écosystème numérique fonctionnel est que tout soit interconnecté, que les outils et logiciels soient reliés avec des identifiants communs sur une même plateforme. »
Ce que veut le marché
Au-delà du défi technique, cette logique se heurte aussi à une réalité économique qui n’incite pas à davantage d’interopérabilité, selon Hélène Decourteix. « Les éditeurs historiques de LGO imposent souvent des barrières, obligeant les entreprises à payer pour être interopérables avec leur logiciel. Elles peuvent aussi racheter ces sociétés et intégrer leurs technologies à leurs offres, ce qui leur permet d’enrichir leurs services grâce à une croissance externe. »
Les services aux patients ne concernent que 21 % des solutions et arrivent derrière le back-office, le pilotage de l’officine et l’expérience client.
Autre frein, ces nouvelles missions ne rentrent pas non plus dans les priorités des pharmaciens, selon l’analyse d’Hélène Charrondière, consultante indépendante et fondatrice de Health Analytica, une structure qui réalise des études de marché et enquêtes pour le compte d’acteurs de la santé. Elle a travaillé à l’établissement d’un benchmark des solutions et outils digitaux à disposition des pharmaciens. 134 solutions et services, essentiellement numériques, visant à moderniser le mode d’exercice des pharmacies et à développer de nouvelles activités en officine, ont été répertoriés.
Actuellement, les informations collectées par ces outils (LGO ou DMP) ne peuvent pas vraiment être exploitées de manière optimale par le pharmacien, qui aurait besoin d’une solution intégrée permettant de cibler des actions ou d’envoyer des messages
Hélène Charrondière, fondatrice de Health Analytica
Les services aux patients ne concernent que 21 % de ces solutions et n’arrivent qu’en troisième position. Derrière le back-office et le pilotage de l’officine – domaine le plus représenté – et l’expérience client. « Même s’il y a des attentes fortes, intégrer ces nouveaux services dédiés aux nouvelles missions n’est pas la préoccupation première des pharmacies et des éditeurs », note Hélène Charrondière. Pour l’heure, les bilans de médication, les entretiens pharmaceutiques, etc. restent des services annexes. « Notre enquête auprès des pharmaciens révèle qu’ils attendent avant tout des outils pour optimiser le back-office, notamment la gestion des achats. C’est clairement leur priorité. » En conséquence, il n’y a pas eu de développement informatique significatif. Hélène Charrondière observe toutefois une situation où le serpent se mord la queue. Au-delà du seul intérêt du marché, l’intérêt pour ces solutions ou modules intégrés aux LGO grandira si l’interopérabilité est effective. « Pour que ces services fonctionnent efficacement, ils doivent être interconnectés à des solutions capables de traiter la donnée. Actuellement, les informations collectées par ces outils (LGO ou DMP) ne peuvent pas vraiment être exploitées de manière optimale par le pharmacien, qui aurait besoin d’une solution intégrée permettant de cibler des actions ou d’envoyer des messages. Cela montre qu’il y a un réel enjeu d’interopérabilité à résoudre avant que lesdites solutions puissent réellement démontrer leur efficacité. »
L’intranet, une brique d’interopérabilité
Des efforts sont également axés sur la prescription vaccinale. « Il ne faut pas négliger cette opportunité, car la vaccination, en plus d’être un geste simple pour le pharmacien, peut devenir une activité génératrice de marges si elle est bien développée », précise Marilyn Fillet. Des actions au sein de Mutualpharm ont déjà été entreprises, comme la distribution d’affiches dans les officines informant les patients que les pharmaciens peuvent désormais prescrire des vaccins, ou encore des supports de communication à placer sur le comptoir pendant l’attente des patients. Par ailleurs, en collaboration avec Atoopharm, société française spécialisée dans la formation continue et les services dédiés aux pharmaciens, des arbres décisionnels plus poussés que l’arbre vaccinal traditionnel sont en cours de création. L’objectif est d’aller encore plus loin avec un outil interactif, connecté à l’intranet du groupement, qui va guider les pharmaciens en fonction de l’âge du patient. Ce support numérique doit fournir une approche structurée pour aider les professionnels de santé à poser les bonnes questions et à optimiser la gestion des rappels.
Des LGO qui s’adaptent
Les LGO ne sont toutefois pas dépourvus de fonctionnalités tournées autour des nouvelles missions. Emilien Laurent, pharmacien responsable produit de Pharmony (Pharmony ONE) explique : « nous proposons tous les questionnaires liés aux entretiens conventionnés. Ils sont accessibles depuis le dossier du patient et ils peuvent être remplis directement dans l'interface du LGO. » Un PDF est ensuite généré, et peut être imprimé puis envoyé par mail au patient et peut aussi alimenter directement le DMP. « Le schéma vaccinal est également facilité, avec la saisie de la note et l'enrichissement automatique du carnet de vaccination du patient, dans la foulée de la facturation sans avoir à changer d'écran ». Quant à savoir si à l’avenir, d’autres modules spécifiques dédiés aux nouvelles missions sont prévus, Émilien Laurent explique qu’à cette fin, le Ségur sera un excellent point de départ pour l’intégration desdits modules. « Nous offrons la possibilité au pharmacien de pouvoir continuer à utiliser ses outils externes dédiés en s’interopérant avec. L'Intelligence Artificielle intégrée au LGO au travers de partenaires comme Bimedoc, permet dès la lecture de la carte Vitale, de disposer de la liste des services auxquels le patient est éligible directement sur l’interface de vente. » Au-delà des outils, Pharmony confirme qu’il est possible de créer des alertes et rappels automatiques pour les pharmaciens vis-à-vis de patients éligibles à certaines missions « en fonction des données disponibles », bien sûr.
Communiquer c’est la clé
Le pharmacien peut communiquer autour des nouvelles missions dans son officine à travers des écrans diffusant des messages ou sur ses réseaux sociaux, son site internet, ou encore sa page Google My Business. « Toujours avec tact et mesure », prévient Hélène Decourteix, comme le stipule le code de la Santé publique : « Toute information ou publicité, lorsqu’elle est autorisée, doit être véridique, loyale et formulée avec tact et mesure. » Il ne s’agit donc pas de solliciter la clientèle, ni d’inciter à la consommation de médicaments, mais plutôt de communiquer sur des actions de santé publique et sur l’accompagnement des patients, ce qui est autorisé. « Le pharmacien a donc le droit de le faire, et c’est un point essentiel pour promouvoir ces services. »
V. M.
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