Bien que souvent invisible, le pharmacien, expert du médicament, est un acteur incontournable de l’organisation des soins en Ehpad sans PUI. En effet, sur les 13 millions de patients polymédiqués (1) que compte la France, 572 042 sont accueillis dans ces établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (2).
Ce nombre est promis à une belle croissance. Les personnes âgées ayant tendance à retarder de plus en plus leur entrée en établissement, elles y sont admises avec un cumul plus important de pathologies avancées. L’âge moyen actuel des résidents en Ehpad est de 83 ans.
La PDA, porte d’entrée de l’Ehpad
C’est dire l’importance du médicament dans l’organisation des soins. Cette place met en relief les risques d’erreurs potentielles auxquels sont exposés les résidents. Mais elle souligne en même temps les chances de sécurisation du circuit du médicament, et par conséquent toute la pertinence du rôle du pharmacien.
La plupart des établissements, cependant, se contentent de limiter la place de l’officinal à la préparation des doses à administrer (PDA). Soumises à des contraintes budgétaires, les directions intensifient leurs appels d’offre pour cette fonction qui leur permet d’économiser un temps plein infirmier. Plus d’une pharmacie sur cinq s’est emparée de ce marché ; 300 à 400 officines s’y sont d’ailleurs investies à grand renfort de moyens humains et techniques en intégrant la robotisation complète dans la préparation des piluliers.
Cette automatisation, qui nécessite un investissement de 120 000 à 400 000 euros, se veut une source de sécurisation absolue du circuit du médicament. « Le taux d’erreur généralement admis de 17 % en semi-automatique ou en manuel, tombe à 2/00 grâce à ce processus de production soumis à pas moins de douze contrôles, dont huit effectués par l’être humain », assure Jean-Luc Fournival, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) et auteur du livre blanc sur la PDA (3).
Certains fabricants offrent même une sécurisation accrue dans l’administration par flashage et par diffusion de la photographie du médicament et du patient. L’ensemble de ces procédures, leviers indéniables sur l’observance et l’iatrogénie, permet, selon l’UNPF, une économie de 20 % sur le traitement médicamenteux.
Définir sa place et l’occuper
Les appels d’offres lancés par des groupes nationaux d’Ehpad, que certains pharmaciens n’hésitent pas à qualifier de « dictatoriaux », ne sont pas sans inquiéter les titulaires liés historiquement à des Ehpad par la PDA manuelle. Ces derniers s’interrogent sur le bras de fer qui les contraint à se robotiser pour 120 lits, alors que le marché des couches, des compresses et des pansements leur a déjà échappé, via des appel d’offres à l’échelle hexagonale.
N’évoquer le travail du pharmacien en Ehpad qu’à travers le seul spectre de la PDA serait toutefois réducteur. Et reviendrait à faire le jeu des établissements qui considèrent cette fonction comme la simple externalisation d’une tache effectuée par l’infirmière. « Le travail du pharmacien avec un Ehpad ne se résume pas à la PDA », telle est la conviction de Christophe Wilcke, président de l’URPS Pharmaciens Grand Est (4). Pour lui la sécurisation du médicament en Ehpad commence bien en amont.
La conciliation médicamenteuse, l’introduction de l’informatique évitant les procédés de retranscription, la coordination entre le médecin prescripteur et le pharmacien ou encore l’administration des thérapeutiques hors piluliers sont autant de terrains d’action pour le pharmacien. Sans oublier la formation des équipes soignantes.
« Le travail autour de l’administration comprend également le plan de prise. Nombre d’erreurs sont commises sur ce point ou encore dans l’écrasement du médicament. On ne pourra jamais maîtriser totalement ce domaine sauf à intervenir dans la formation », expose Christophe Wilcke. La phase post-administration en terme de pharmacovigilance compte également au rang des missions du pharmacien, tout comme la prévention (vaccination des résidents, par exemple).
L’ensemble de ces champs d’intervention doit être défini par une convention, véritable pierre angulaire de la coopération entre le pharmacien et l’Ehpad, qui entérine la position du pharmacien au-delà des conditions d’approvisionnement de l’établissement. « Nous développons des outils de dialogue entre les pharmaciens et les Ehpad pour accompagner les titulaires dans cette démarche et nous avons également édité une convention type », déclare Christophe Wilcke.
Des conventions à géométrie variable
Aux pharmaciens de s’emparer de ces outils formalisant leur travail en Ehpad. Car une chose est sûre, le pharmacien doit occuper le terrain en déployant ses compétences, qu’il soit dispensateur ou référent. Ce dernier terme introduit par la loi HPST (5), suppose que le pharmacien apporte également son expertise du médicament à l’équipe pluridisciplinaire.
Il participe ainsi aux réunions de coordination et à la mise en place de bonnes pratiques. Certaines instances professionnelles, comme l’URPS Lorraine, suggèrent que le pharmacien référent contribue également « à la maîtrise des dépenses pharmaceutiques, à l’élaboration des protocoles de prescription et de la dotation pour soins urgents ou encore à la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse : biologie, IP, suivi spécialiste ». Ses missions peuvent aussi se prolonger dans la sécurité d’utilisation du médicament (MNU, périmés, stupéfiants, chaîne du froid, bibliothèque) et des dispositifs médicaux (gestion d’une liste d’urgence, nutrition).
Pour l’heure, aucune forme de conventionnement n’est arrêtée par les pouvoirs publics, pas davantage les missions qui y sont intégrées. Ce n’est pas le cas, en revanche, de la convention qui lie le pharmacien au patient, deuxième pilier de l’intervention du pharmacien en Ehpad. Il convient en effet de souligner la position propre au pharmacien en Ehpad : chaque résident, considéré comme vivant à domicile, détient la liberté de définir le pharmacien auquel il se lie par une convention spécifique et unique, en toute indépendance du pharmacien référent. Un choix souvent dicté par la proximité, qui lui est garanti par le Code de la Santé publique (6).
Une note à régler
L’ensemble de ces missions donne corps au travail du pharmacien en Ehpad et justifie son existence. Il ne l’assure pas pour autant. Car aucune rémunération n’est pour l’heure accordée de manière pérenne au titulaire.
Bien qu’éprouvée lors d’expérimentations de pharmacien référent en Ehpad mises en place par certaines URPS, la rémunération n’a pas été entérinée. Ni la loi HPST qui introduit le terme de pharmacien référent, ni le rapport de l’IGAS de septembre 2010 (7) qui mentionne expressément son existence, ni même le rapport de la mission Verger de décembre 2013 qui lui reconnaît un rôle spécifique, n’ont été suivis d’un modèle financier.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir revendiqué une rémunération, à l’instar de Jean-Luc Fournival : « Nous ne réclamons qu’un euro par patient et par jour, c’est peu au regard des 390 millions d’euros par an d’économies que la PDA rapporte en terme de sécurisation du médicament. » Le président de l’UNPF décrit la fragilité d’un modèle économique qui repose actuellement « sur la marge du générique et des princeps. Si cette convergence s’effondre, c’est tout le système qui s’écroule. »
De fait, les pharmaciens obtiennent aujourd’hui un équilibre ténu pour cette activité qui génère un coût supplémentaire équivalant à un quart de temps plein, pour 200 lits. « Si l’on considère l’activité dans sa globalité, c’est-à-dire la préparation des ordonnances, la livraison, la tarification en différé sur originaux, elle peut requérir un temps plein pour un Ehpad de 140 lits », estime de son côté Marie-Thérèse Henry, titulaire à Haroué. Alors que le coût du système de remplissage manuel avec traçabilité qu’elle avait mis au point revenait à 6 euros par patient par mois, la pharmacienne redoute aujourd’hui le surcoût engendré par une automatisation, achat de robot et de consommables compris.
Comme elle, les pharmaciens travaillant en Ehpad, s’interrogent sur leurs investissements futurs, alors que leur unique rémunération est basée sur le prix du médicament. « Étant donné que les prescriptions en gériatrie sont appelées à diminuer, à coûts fixes constants, nous allons être perdants si les bénéfices baissent », estime Marie-Thérèse Henry, qui regrette de ne pouvoir disposer de visibilité à cinq ans. Souhaitant conserver les partenariats tissés de longue date avec les Ehpad, elle espère trouver rapidement des solutions validées par les soignants et la direction.
De l’avis général, la rémunération, qui devrait être l’un des points clés de la convention nationale sur les tarifications en Ehpad, ne devrait pas entrer en vigueur avant deux à trois ans.
Christophe Wilcke ne désespère pas de voir le pharmacien y trouver toute sa place, à l’instar des médecins coordinateurs en Ehpad. « Dans ces structures de plus en plus médicalisées, il faudra faire travailler les professionnels de santé de proximité si l’on veut conserver des projets de soins et des projets de vie de qualité, et ce dans des lieux qui assurent une activité en terme de territoire », indique-t-il. Pour Jean-Luc Fournival, la clé est aux mains des ARS. Il plaide pour qu’elles puissent contrôler la PDA en Ehpad et délivrer un agrément aux pharmaciens. Un premier pas vers la reconnaissance du pharmacien dans son travail de santé publique.
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