Face à l’Europe, les pharmaciens français ne pourront plus longtemps jouer au village gaulois*. Cela fait désormais plus de deux ans, depuis la parution de la réglementation européenne, le 9 février 2019, instituant la sérialisation, que la profession résiste. Une poignée d’officinaux seulement -170 tout au plus - aurait mis en œuvre la vérification et la désactivation (« décommissionnement ») des dispositifs de sécurité présents sur les boîtes des médicaments de prescription médicale obligatoire, ainsi que l’oméprazole.
Notice en cyrillique
Cette nouvelle obligation est mal reçue par une profession éreintée par un an de crise sanitaire et accablée de charges administratives. Redoutant une nouvelle tâche chronophage, des titulaires dénoncent l’ingratitude des pouvoirs publics, certains appelant même à la grève de cette « sérialisation inutile ». De fait, sur un réseau officinal exempt de toute contrefaçon, cette mesure est ressentie non seulement comme superflue, mais aussi comme injuste. Certains pharmaciens pointent du doigt une directive européenne taillée sur mesure pour l’Allemagne. Et ils voient juste, car le fléau des médicaments contrefaits sévit essentiellement Outre-Rhin. La raison en est structurelle : toute pharmacie a obligation de détenir au moins 5 % de médicaments importés dans son stock. Il s'agit de produits provenant d’autres pays européens dont l'approvisionnement est souvent assuré par des grossistes spécialisés en importations parallèles. Il n’est ainsi pas rare que les officinaux allemands doivent photocopier la notice pour la substituer à l’originale en cyrillique !
Dans ce contexte, on peut comprendre que dans l'Hexagone les syndicats professionnels aient fait de la défense de l’exception « française », un cheval de bataille. La publication de l'arrêté de bonnes pratiques ne change rien à la position de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Je refuse d’être un syndicat coopérant », déclare Philippe Besset, son président, soupçonnant une dénonciation en haut lieu. Il fait référence à un courrier adressé par la direction de l’EMVO, l’organisation européenne chargée de l’application du système européen de vérification des médicaments, à Andrzej Rys, directeur chargé des systèmes de santé, des produits médicaux et de l'innovation à la Commission européenne. La mauvaise volonté des pharmaciens français y est dénoncée et la commission y est enjointe « d'appliquer l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à l'encontre de la France en tant que recours ultime pour faire exécuter la réglementation ».
Solution a minima
Cependant, face à l’obligation légale que représente désormais la publication de l’arrêté de bonnes pratiques de dispensation, le président de la FSPF n’a d’autres recours que d’inviter les pharmaciens à s’y conformer. Toutefois, le syndicat assure de son soutien, au cas par cas, tout titulaire qui serait inquiété suite à un contrôle. Car les pharmaciens n’ont pas obligation de moyens. « Je ne lâcherai pas sur ma revendication concernant la gratuité du système. La sérialisation, qui plus est, est inutile, ne doit pas coûter un seul euro aux pharmaciens ! », répète Philippe Besset. C’est dans le but de réduire les coûts que le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens est entré en jeu. L’instance ordinale a conçu le connecteur, interface entre les LGO et France MVS (France Medicine Verification System) qui permet aux pharmaciens d’interroger ce dernier afin de s'assurer que le médicament sur le point d'être dispensé n'est pas falsifié (voir encadré). La souscription annuelle à la solution proposée par l'Ordre est de 44 euros HT. Un montant qui est absorbé par une baisse de 50 euros de la cotisation annuelle à l'Ordre des pharmaciens, renouvelée cette année.
Face au défi de la sérialisation, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a opté très tôt pour la solution minimaliste. Le syndicat propose le décommissionnement dès la livraison des caisses de médicament à l’officine. Un procédé en back-office qui a reçu l’aval de la Direction générale de la santé même si le process initial retient une désactivation au comptoir devant le patient. Gilles Bonnefond, président de l’USPO, affirme que cette solution présente l’intérêt de permettre « en cas d’alerte » le retour du produit immédiatement au grossiste-répartiteur. Sans compter que ce décommissionnement en amont simplifiera le process des « promis », et, accessoirement, épargnera un moment de honte au pharmacien au comptoir en cas de produit non conforme !
* Selon le courrier adressé par EMVO à la commission européenne, seules les pharmacies françaises et bulgares ne sont pas – ou insuffisamment - connectées : seulement 1 % du réseau officinal français et 20 % du réseau officinal bulgare sont raccordés à leur MVO national.
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