L’assurance-maladie est bien déterminée à verdir le système de santé. Dans son « Rapport charges et produits 2025 » publié en juillet, elle a décidé entre autres mesures écologiques de « décarboner le médicament ». Il faut dire qu’il pèse lourd en gaz à effet de serre : l’achat de médicaments produit à lui seul 29 % des émissions du secteur de la santé, lui-même responsable de près de 8 % des émissions françaises, selon les calculs du Shift Project en 2023.
Plus précisément, la CNAM envisage d’ouvrir « un chantier ambitieux » avec les industriels pour construire une méthode commune d’évaluation carbone des médicaments, remboursés ou non, produit par produit, puis de partager l’information avec les professionnels et les usagers du système de santé. « Une traduction concrète de cette évaluation carbone pourrait consister à terme en la mise en place d’un « Carbone-Score » sur les boîtes de médicaments. Cette évaluation visuelle, à l’image du Nutri-Score s’agissant des informations nutritionnelles des produits alimentaires, doit permettre de sensibiliser les acteurs (professionnels de santé comme patients) à l’utilisation des médicaments et faciliter la compréhension de leur impact sur l’environnement. », décrit l’assurance-maladie.
Définir une grille
Reste maintenant à construire une méthodologie qui permette de comparer les produits. La direction générale des entreprises (DGE), associée à la CNAM, la direction de la sécurité sociale (DSS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la direction générale de la santé (DGS) a ainsi proposé un outil à destination des industriels pour calculer « de façon simple et fiable » l'empreinte carbone des médicaments qu'ils commercialisent. Il s’agit d’un tableur dans lequel l’industriel entre une foule de données (facteurs d’émissions des principes actifs, nom des fournisseurs, pays d’origine de fabrication, facteurs d’émissions des excipients, taux de pertes annuel des excipients…) et obtient le résultat de l’empreinte carbone en amont (production), augmenté du taux d’incertitude. Cette méthodologie, construite par le cabinet Ecovamed, a été soumise en consultation publique l’été dernier, et les résultats sont attendus en fin d’année.
Le Leem (Les Entreprises du médicament), déjà investi dans son propre plan de décarbonation, est dans l’expectative : « La DGE veut se baser sur une méthode ciblant uniquement le critère carbone. C’est bien de connaître l’empreinte carbone d’un médicament, mais si l’empreinte est très bonne au niveau carbone et très mauvaise en termes de biodiversité ? Plus que de l’empreinte carbone, nous allons avoir besoin, à l’avenir, de l’empreinte environnementale d’un produit », explique Julie Langevin, responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) au sein du Leem, pointant déjà une première faille. Selon Ecovamed, se limiter à l’empreinte carbone permet « de ne pas complexifier l’évaluation environnementale et permettre aux exploitants pharmaceutiques de taille moyenne d’appréhender plus facilement ce sujet. »
Tout ceci n’a de sens que pour des molécules de mêmes efficacité et sécurité
Luc Besançon, délégué général de NérèS
Que faire du résultat ?
C’est la grande question. Dans leur présentation, les autorités y voient une façon, pour les fabricants et exploitants, d’identifier les classes médicamenteuses, technologies ou formes galéniques ayant le plus d’impact sur l’environnement « afin d’y remédier ». Les décideurs publics pourront, eux, orienter leurs politiques en intégrant cette notion environnementale. Quant aux professionnels de santé, dont les pharmaciens, ils pourront « s’engager dans des prescriptions et dispensations écoresponsables », espèrent la DGE et la CNAM. Mais encore ?
« Cette méthodologie qui initialement devait servir à comparer des produits comparables pour des acheteurs hospitaliers dans le cadre d’un verdissement d’appel d’offres, peut être plus large et finalement appliquée d’une autre manière que celle à laquelle on pensait. On sent que chaque administration a envie de l’utiliser, s’interroge la représentante du Leem. Mais il faut garder en tête que les critères restent très incertains, que chaque entreprise va appliquer cette méthode de manière plus ou moins rigoureuse, et qu’il peut y avoir un taux d’incertitudes allant jusqu’à 40 % du résultat. Comment des non-professionnels de cette méthode, des acheteurs hospitaliers, des médecins ou des pharmaciens, vont-ils pouvoir lire le résultat et le comparer ? Comment l’assurance-maladie va-t-elle se servir de ce score ? Comment la Haute Autorité de santé (HAS) va-t-elle s’en servir également, etc. ? » Car le spectre d’une meilleure prise en charge pour des produits plus « verts » n’est pas loin, d’autant qu’au niveau européen aussi, les choses bougent. « La législation pharmaceutique européenne, en discussion, pourrait intégrer un quatrième critère dans l’obtention de l’AMM : un critère environnemental », indique Julie Langevin.
Ce n’est pas une science exacte et chaque entreprise n’aura pas les moyens en interne d’appliquer cette méthode à tous ses médicaments.
Julie Langevin, responsable RSE du Leem
Mêmes doutes chez NérèS, qui représente les laboratoires pharmaceutiques produisant et commercialisant des produits de santé disponibles en pharmacie sans ordonnance : « Est-ce suffisant ? Est-ce pertinent ? Et que fait-on du résultat ? Tout ceci n’a de sens que pour des molécules de mêmes efficacité et sécurité, s’interroge Luc Besançon, délégué général. Cela peut orienter vers une solution plus coûteuse, comment valorise-t-on alors un bon écoscore auprès de l’industriel ? Auprès du pharmacien ? Ce n’est aujourd’hui pas défini. »
De plus, dans le calcul proposé, la méthodologie ne prend pas en compte l’empreinte du stockage chez le grossiste, ni celle du passage à l’officine. « En ville, pour un même médicament, l’empreinte carbone est différente selon le parcours de soins. Elle est moindre lorsque le patient prend directement son médicament en officine que s’il est obligé de passer par la case médecin. Comment valoriser cela ? », remarque encore Luc Besançon, qui soulève un autre lièvre : « Aujourd’hui, le cadre réglementaire limite la communication aux informations sur le bon usage du médicament et sur sa sécurité, y compris sur le packaging. Comment faire pour afficher le score ? Comment valoriser la communication ? Il faut changer la réglementation. » Il y a donc là quelques leviers à faire sauter.
Des risques de disparition de produits ?
La mise en place d’un « Carbone-Score » aura aussi un coût pour l’industriel. « Il faut rester vigilant car ce n’est pas une science exacte, et chaque entreprise n’aura pas les moyens en interne d’appliquer cette méthode à tous ses médicaments. À titre indicatif, le cabinet qui a développé cette méthodologie nous a indiqué un coût de 3 000 à 5 000 euros pour l’analyse de 2 à 3 médicaments. Ce n’est pas anodin. Maintenant il faut outiller toutes les entreprises pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence entre elles et que toutes puissent, si elles le souhaitent, répondre à un appel d’offres », précise Julie Langevin. La responsable du Leem met en garde : « L’application de cette mesure va peser lourd car les entreprises ne peuvent pas répercuter le coût sur leurs médicaments dont le prix est plafonné. »
De là à voir disparaître des produits ? « Il est trop tôt pour répondre mais le Leem a averti les autorités : il ne faut pas que cette mesure pèse trop lourd sur les entreprises. Il ne faut pas que certaines entreprises aient plus d’intérêt à supprimer le produit que de continuer à le fabriquer et de payer des modifications d’AMM qui seraient trop impactantes pour elles », répond Julie Langevin.
L’équation à 3 inconnues
« Cette méthodologie n’a d’intérêt que si l’écart entre produits est important », conclut le représentant de NérèS. Pour Luc Besançon, le score introduit une troisième variable : « Par exemple : acheter en pharmacie deux boîtes de 8 comprimés de paracétamol pour compléter son armoire à pharmacie a une plus lourde empreinte carbone que d'en retirer d'une boîte de 100 comprimés comme cela existe dans le secteur hospitalier. Faut-il privilégier une bonne empreinte carbone, ou la sécurité et le bon usage du médicament ? Quel équilibre trouver entre écologie, économie et sécurité du patient ? Et qui va répondre à cette question ? »
« J’espère que cette méthodologie pourra être transformatrice et que ce ne soit pas que de l’affichage », note Julie Langevin.
L’assurance-maladie voit vert
Après avoir intégré, pour la première fois dans une convention avec des professionnels de santé, des objectifs de transition écologique chez les pharmaciens en 2022 puis en 2024, et chez les médecins en 2024, la CNAM persiste et signe dans son « Rapport charges et produits 2025 ». En plus de l’idée d’un « Carbone-Score », l’assurance-maladie veut agir contre le gaspillage des produits de santé, en misant sur l’ajustement des prescriptions et des délivrances de médicaments et en réfléchissant à la réutilisation des médicaments non utilisés rapportés en pharmacie, notamment. Elle préconise aussi les « soins écoresponsables », c’est-à-dire des soins qui, à qualité, sécurité et pertinence égales, ont moins d’impact sur l’environnement. Cette évaluation visuelle, à l’image du Nutri-Score, doit permettre de sensibiliser les professionnels de santé – y compris les pharmaciens- à l’impact environnemental des médicaments.
A.-H. C.
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