Le Quotidien du pharmacien.- Comment a récemment évolué l’utilisation du tramadol et de la codéine ?
Joséphine Eberhart.- Sur le marché ronronnant des antalgiques, le recours à la codéine apparaît important et globalement stable en France : seule une légère augmentation de l’utilisation de la molécule a été enregistrée dans les années 2010. Le tramadol, lui, s’est fortement diffusé à partir des années 2000, au point d’être deux fois plus prescrit que la codéine.
Comment expliquer cette percée du tramadol ?
Cette percée est à peu près concomitante à l’infléchissement des ventes de Di-Antalvic – antalgique de palier 2 retiré du marché en 2011 : un report des prescriptions s’est fait vers le tramadol. Par ailleurs, le tramadol a été banalisé par les laboratoires qui le commercialisait puisqu’il a été présenté comme un produit inoffensif, utilisable pour des douleurs ordinaires – en un mot, comme le successeur du Di-Antalvic, qui jouissait d’une très bonne réputation.
Pourquoi cette réputation ?
Le tramadol est mal connu : nombre de prescripteurs peinent à comprendre son profil pharmacologique. De plus, comme la codéine, et contrairement à d’autres opioïdes, le tramadol n’a pas été diabolisé. Les deux molécules ont échappé à la législation sur la morphine et au carnet à souche – dont les médecins plus âgés conservent un trauma : alors que la morphine reste associée, aux yeux de ces prescripteurs, à la fin de vie dans les zones rurales, ou à un risque d’addiction dans les zones urbaines, codéine et tramadol sont considérés comme un moindre mal permettant aux patients de « tenir » en cas de douleurs chroniques.
Les consciences évoluent-elles concernant le potentiel addictogène de ces médicaments ?
Les médecins qui évoquent spontanément des problématiques d’addiction avec la codéine sont surtout ceux installés en banlieue parisienne – marqués par le détournement par les jeunes il y a quelques années. Concernant le tramadol, les prescripteurs reprochent à la molécule ses effets indésirables fréquents, imprévisibles et spectaculaires, avec un aspect on/off, et décrivent un risque de confusion pouvant mener à une multiplication des prises. Les généralistes n’évoquent toutefois pas spontanément des problématiques d’addiction. Mais une fois interrogés sur le sujet, ils sont nombreux à décrire des problèmes de consommation chez certains patients, et des difficultés à déprescrire le dernier comprimé.
L’ordonnance sécurisée fera-t-elle changer les pratiques ?
Le passage sur ordonnance sécurisée pourrait améliorer la reconnaissance du statut addictogène de ces médicaments. Néanmoins, la mesure ne réglera pas le problème de la prise en charge ambulatoire des douleurs chroniques chez des patients non éligibles aux antalgiques de palier 3 mais pour lesquels le paracétamol ne suffit pas. En fait, ce qui manque aux généralistes, c’est une molécule efficace permettant de limiter l’iatrogénie médicamenteuse – comme, selon eux, le Di-Antalvic.
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