Le Quotidien du pharmacien.- Pour quelles raisons la prescription de tramadol a-t-elle été limitée à 3 mois ?
Pr Nicolas Authier.- L’idée était de s’assurer que les traitements chroniques à base de tramadol fassent l’objet d’une réévaluation fréquente par le médecin, et qu’ils ne soient pas prescrits sur une durée trop longue, en regard du risque de dépendance et de syndrome de sevrage parfois plus complexe avec le tramadol qu'avec les autres opioïdes. En effet, le tramadol cumule un effet opioïde et un effet antidépresseur dû à une inhibition de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine. Quand on l'arrête, on a donc une valence sur l'anxiété et le sommeil plus marquée qu'avec les autres opiacés.
Envisage-t-on de placer le tramadol sur la liste des stupéfiants ?
La commission des stupéfiants à l’ANSM s’est prononcée en défaveur de cette option. En effet, si on le mettait sur la liste des stupéfiants, cela pourrait être un frein à la prise en charge de la douleur modérée à sévère, sachant que le tramadol est l'antalgique le plus prescrit en France, avec 6 millions de personnes qui en ont au moins une boîte dans leur armoire à pharmacie. Et cela pourrait provoquer un report sur d’autres traitements, comme la codéine et la poudre d’opium… Ce qui ne réglerait pas la problématique liée au risque de dépendance aux opiacés.
Quel est le rôle du pharmacien devant une prescription de tramadol ?
Il est aussi important que celui du médecin. Le médecin prescrit et évalue le bénéfice risque, le pharmacien dispense et s’assure que l’on est dans le bon usage du médicament. Il peut repérer un mésusage, en posant simplement quelques questions. À cet effet, le pharmacien peut s’appuyer sur l’échelle POMI-5F, recommandée par la Haute Autorité de santé : en 5 questions, elle permet de dépister un probable mésusage à partir de 2 réponses positives.
De façon plus générale, existe-t-il une problématique avec le tramadol s’il est mal prescrit ou mal utilisé ?
Oui, avec le tramadol et avec tous les opiacés. Selon un sondage mené en 2022, 29 % des usagers de codéine et 39 % des usagers de tramadol présentent un comportement de mésusage. Ainsi, 14 % des usagers de codéine et 24 % des usagers de tramadol rapportent prendre ces médicaments pour une finalité autre qu’un effet antalgique, pour une anxiété, des problèmes de sommeil, comme stimulant… Enfin, respectivement 36 et 47 % des usagers de codéine et tramadol ont du mal à arrêter ou diminuer leur traitement. C’est pourquoi la question de la juste prescription se pose : il faut savoir parfois ne pas les prescrire. Mais malheureusement, on ne dispose pas d’un arsenal thérapeutique très étendu dans la prise en charge de la douleur. Après le paracétamol, le néfopam, on attaque les opioïdes qui présentent tous les mêmes effets indésirables : un risque de dépendance et de surdosage.
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