Le Quotidien du pharmacien.- En France, la consommation d’antibiotiques est un tiers supérieure à celle des autres pays européens. Comment expliquer cette spécificité ?
Pr François Bricaire.- Elle est historique, la France ayant toujours été parmi les pays forts consommateurs d'antibiotiques. Ce comportement est basé, entre autres, sur la croyance que les antibiotiques doivent être systématiquement utilisés dans certaines pathologies. Ainsi, les Français pensent à tort qu’en cas de fièvre et même en cas d’infection virale il vaut mieux prendre un antibiotique.
La crise du Covid a fait chuter de près de 20 % la consommation des antibiotiques en 2020. Est-ce suffisant ? Pensez-vous que cette baisse s’inscrira dans le temps ?
Cette baisse tient dans le fait que les citoyens ont été très mobilisés par la lutte contre le Covid. Le respect des mesures barrières, le moindre niveau d'infections hors Covid ont fait que la réclamation d’antibiotiques et leur prescription ont été d’autant diminuées. La baisse n'est cependant pas suffisante, et je crains malheureusement qu'elle ne dure pas lorsque la situation retournera à la normale, après la crise sanitaire.
Comment modifier le comportement des Français qui sont dans l’attente d’une prescription d’antibiotiques en cas de pathologie courante, notamment respiratoire ou digestive ?
C’est là la question fondamentale. Déjà, il faut convaincre les médecins que « les antibiotiques, c’est pas automatique ». Pour cela, il faudrait qu'ils justifient obligatoirement, auprès de leurs patients, toute prescription, ou non prescription, d’antibiotique. Ainsi, en expliquant pourquoi ils n'en prescrivent pas, les médecins doivent pouvoir résister à la pression des malades. Par exemple, devant un Streptotest négatif, le médecin justifie que l’infection est virale et ne requiert pas d’antibiotiques. Au contraire, si le test est positif, il s’agit d’une angine à streptocoque A qu’il convient de traiter absolument par une antibiothérapie adaptée.
Ensuite, il est important d'informer et de sensibiliser le grand public. Ce qui a été fait lors de campagnes de communication incitant les Français à moins recourir aux antibiotiques. Cette information n’est sans doute pas suffisante. Il faut poursuivre les efforts, faire passer le message que les antibiotiques inadaptés ne sont pas efficaces et qu’ils peuvent être dangereux, du fait de leurs effets indésirables et parce qu'ils induisent potentiellement l'apparition de bactéries multirésistantes.
À l’officine, des mesures comme la réalisation du Streptotest ou l’expérimentation de la dispensation à l’unité de certains antibiotiques, qui débutera en janvier, sont-elles de nature à changer la donne ?
Ce sont en tout cas de bonnes mesures. Le Steptotest, en pharmacie comme chez le médecin, est un élément qui peut prouver qu’une infection est bactérienne. Il participe donc à la justification de la mise sous antibiotique et de son choix : une bêtalactamine ou une pénicilline. On respecte donc les bonnes règles de l’antibiothérapie.
Quant à la dispensation à l’unité, elle permet de délivrer une quantité d’antibiotiques limitée. Ce qui autorise des antibiothérapies plus courtes telles que recommandées aujourd’hui dans certaines pathologies, et évite le gâchis de médicaments.
Que pensez-vous du fait que les pharmaciens pourraient, à l’avenir, délivrer sans ordonnance de la fosfomycine-trométamol dans certaines situations, et de façon protocolisée ?
L’idée est bonne : elle permet de répondre à une demande urgente dans un contexte où les médecins sont de moins en moins nombreux sur le terrain. Mais dans ce cas, elle doit être bien encadrée et ne concerner que la délivrance de fosfomycine-trométamol, qui est le traitement probabiliste de la cystite aiguë en première intention.
Comment pourrait-on résumer les règles de prescription idéales des antibiotiques ?
D’abord, et j’insiste, il faut que toute prescription d’antibiotique soit justifiée par le médecin, par exemple avec la réalisation d’un Streptotest lors d’une angine. Ensuite, le prescripteur doit répondre aux questions « quel est le site infecté ? », « quel est le terrain ? » et « quel est le germe suspecté ou éventuellement isolé ? » afin de choisir une molécule adaptée. Cette démarche n’est pas réalisée de façon systématique par les médecins.
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