La prévalence et l’incidence de la goutte continuent d’augmenter aux États Unis comme en Europe où sa prévalence varie de 0,9 à 2,5 %, selon les pays. Malgré l’existence de traitements efficaces, la goutte reste mal diagnostiquée et sa prise en charge n’est pas optimale.
En juillet dernier, la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) publiait ses dernières recommandations pour améliorer cette prise en charge. Aujourd’hui, c’est au tour de l’American college of physicians (l’ACP, association des médecins généralistes américains) d’émettre des propositions contredisant la plupart des recommandations issues des sociétés savantes de rhumatologie, qu’elles soient américaines ou européennes.
Le traitement des crises
Publiées dans « Annals of Internal Medicine », les premières recommandations concernent le traitement de la crise aiguë de goutte. Entre les anti-inflammatoires non-stéroidiens (AINS), la colchicine et les corticostéroïdes, l’ACP opte pour les corticostéroïdes en première ligne, ces derniers étant « aussi efficaces que les AINS mais avec moins d’effets secondaires », juge le Pr Nitin Damle, président de l’ACP.
Pour le Pr Thomas Bardin, rhumatologue à l’hôpital Lariboisière à Paris - coauteur des dernières recommandations EULAR pour la goutte - si les corticoïdes présentent moins de désagréments pour les patients à court terme, leur toxicité est loin d’être négligeable, ce qui rend les experts Français plus prudents vis-à-vis de cette classe d’anti-inflammatoires. « Les goûteux sont souvent diabétiques, souvent hypertendus, ce n’est pas anodin de leur donner des corticoïdes en première intention, estime le Dr Bardin. Il y a aussi le risque de devenir corticodépendant. »
Que faire lors d'une première crise ?
Lorsqu’un premier diagnostic de goutte est posé, l’ACP se prononce « contre » le traitement hypo-uricémiant au long cours de la plupart des patients. « Les bénéfices du traitement pour abaisser le niveau d’acide urique ont été démontrés à court terme. Ils n’ont pas été étudiés sur le long terme », précise l’ACP. Pour l’association, la discussion concernant un possible traitement hypo-uricémiant ne doit être abordée qu’avec les patients victimes de crises récurrentes.
Ces recommandations sont en désaccord total avec la stratégie des rhumatologues européens mais aussi américains. Pour le Pr Bardin, une telle recommandation suggère une méconnaissance de la physiopathologie de la goutte. « Les experts européens sont en faveur d’une prise en charge le plus tôt possible car, à ce moment-là, les dépôts sont plus discrets, on peut les dissoudre plus facilement. Si on ne le fait pas, la maladie devient grave, difficile à traiter, et on se retrouve avec des gouttes tophacées épouvantables pour le patient. On pense également que la goutte est un facteur de risque cardio-vasculaire - ce qui n’apparaît pas du tout dans leurs recommandations », explique le praticien. Aussi, l’efficacité ne peut être observée sur le court terme : « La dissolution est un processus long, il faut attendre plus d’un an, vraisemblablement 2 ou 3, pour ne plus voir de crises », souligne-t-il.
To treat (and target) or not to treat ?
Et les divergences ne s’arrêtent pas là. La stratégie hypo-uricémiante recommandée par les rhumatologues européens et américains a été baptisée « treat to target ». Le Pr Pascal Richette - également praticien à l’hôpital Lariboisière, et lui aussi co-auteur des recommandations EULAR - explique le rationnel de cette approche : « Il s’agit de diminuer l’uricémie au-dessous du seuil de solubilité de l’urate, c’est-à-dire au-dessous de 60 mg/L. Ainsi, on dissout tous les cristaux et on guérit définitivement les patients. »
Pour les médecins généralistes de l’ACP, les données ne sont pas suffisantes concernant le niveau seuil à cibler, ni même concernant la nécessité de contrôler le niveau d’uricémie des patients une fois sous traitement médicamenteux. Pour eux, une approche dite « pour éviter les symptômes » est tout à fait envisageable.
Si des études randomisées concernant le seuil à cibler sont effectivement nécessaires, admet le Pr Bardin, ce dernier met en garde contre une approche qui ne s’occuperait que des symptômes. « On abaisserait insuffisamment l’acide urique et la maladie continuerait de progresser. C’est l’erreur classique. C’est ce qui a été fait en Russie et dans plein de pays pendant des années, et c’est une vraie catastrophe parce que c’est ainsi qu’on voit se développer les gouttes graves », insiste-t-il.
Dans le même esprit, le Pr Tuhina Neogi, rhumatologue et épidémiologiste à Boston university – et auteur d’un éditorial accompagnant les recommandations de l’ACP - déclare : « C’est comme si on recommandait de ne médicaliser les patients atteints de maladie cardiaque uniquement lorsqu’ ils ont une angine de poitrine, sans traiter le processus pathologique qui la sous-tend. »
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