Du 9 au 13 juillet, plus de 7 000 neuroscientifiques du monde entier étaient réunis à Paris pour participer au forum de la FENS (Federation of European Neurosciences Societies). Le Dr Jean-Antoine Girault, président français de la FENS et une équipe d’experts de toute la France et de tous domaines avaient préparé un programme scientifique de très haute qualité couvrant tous les aspects des neurosciences de recherche fondamentale à la recherche translationnelle. Parmi les 80 communications orales, un symposium interpelle « Effets psychédéliques sans expérience psychédélique ».
La psilocybine (extraite du champignon psilocybe) et le LSD (acide Lysergique diéthylamide), produit de synthèse, sont les drogues psychédéliques les plus connues, consommées à des fins récréatives ou spirituelles. Agissant sur les émotions et les perceptions, très étudiées dans les années soixante-dix puis interdites, elles reviennent, depuis les années 2000, dans le champ de la thérapeutique. Une recherche fructueuse se fait jour et les études cliniques se multiplient, notamment pour tenter d’apporter une solution aux patients souffrant de dépression en impasse thérapeutique ou d’addiction sévère à l’alcool ou encore d’anxiété liée à la fin de vie en soins palliatifs.
Un soulagement sans effet psychédélique
Obtenir une réponse thérapeutique en évitant les effets psychédéliques occupe une large place dans la recherche fondamentale et le Graal paraît être le développement des versions non-hallucinogène de ces drogues. Pourrait-on découpler l’effet antidépresseur des effets psychédéliques ? Dre Lucie Berkovitch, psychiatre rattachée à l’hôpital Sainte Anne, qui étudie, dans le cadre de son post-doc à l’université de Yales (États-Unis), l’effet de la psilocybine sur le cerveau, émet un avis nuancé. Car pour elle, l’effet antidépresseur pourrait être médié par l’effet psychédélique lui-même ou avoir une cause pharmacologique commune. La chercheuse s’appuie sur ce que l’on sait des mécanismes d’actions et sur la pratique clinique. « Lorsque les psychédéliques sont proposés en dernier recours pour traiter la dépression, il s’agit en fait d’une psychothérapie assistée par les psychédéliques donnés à dose pleine en une ou deux prises à quelques semaines d’intervalle. Les séances sont réalisées à l’hôpital et encadrées par des soignants pour sécuriser les patients par rapport aux effets des substances qui durent plusieurs heures (psilocybine 4 à 6 heures, LSD 12 à 15 heures). Dans cette psychothérapie particulière, il est possible de s’appuyer sur ces changements perceptifs notamment les visions, ou les explorations des représentations internes yeux fermés, pour le soin. C’est dans cette fenêtre où apparaît une flexibilité inhabituelle que s’opéreraient les changements, révèle-t-elle en poursuivant, l’usage des psychédéliques induit des changements dans la connectivité cérébrale médiée par l’activation des récepteurs sérotoninergiques. On observe au final (via le relargage de glutamate) une augmentation de la connectivité entre aires cérébrales, en particulier entre les zones sensorielles et le reste du cerveau, ce qui sous-tendrait l’amplification sensorielle. »
Restaurer la flexibilité comportementale
Ces propriétés des psychédéliques pourraient également être mises à profit dans le domaine des addictions, spécifiquement à l’alcool. En restaurant une certaine flexibilité comportementale, le LSD favoriserait le désengagement de la recherche compulsive d’alcool et, agissant sur les récepteurs sérotoninergiques, entraînerait une diminution des rechutes de consommation d’alcool induites par le stress.
Une étude française, ADELY, est sur les rails. « Elle s’adresse à des patients présentant une dépendance active à l’alcool où tout a été essayé et rien n’a fonctionné », indique le Pr Luc Mallet, psychiatre au CHU Henri Mondor de Créteil, chercheur à l’ICM, et coordinateur du projet.
« L’originalité de ce projet réside dans son approche translationnelle puisqu’il comporte un essai randomisé en double aveugle chez l’homme et plusieurs études chez le rongeur : efficacité du LSD dans un modèle d’addiction à l’alcool ; flexibilité comportementale par des tâches d’inversion d’apprentissage et observation des circuits neuronaux et des fonctions activées par le LSD par immuno-marquage », précise-t-il.
Les patients hospitalisés pour une cure de sevrage, seront répartis dans 3 groupes : le groupe placebo actif (LSD 10 µg, une microdose de LSD en prise unique), un groupe recevant une dose de 100 µg (peu ou pas d’effet psychédélique attendu mais levée d’inhibition) et un groupe avec une dose de 300 µg (induction d’expérience psychédélique importante, anomalie de perception, expérience émotionnelle dont on se pose la question de savoir si elle est nécessaire pour obtenir l’effet thérapeutique recherché). Une fois sorti de l’hôpital, le suivi se poursuivra plusieurs semaines pendant lesquelles seront observées la survenue du « craving » (besoin compulsif de boire), de la reconsommation d’alcool, d’éventuels effets secondaires (flash-back, humeur). Chez des patients répondeurs, des IRM avant/après, ainsi que des mesures neurophysiologiques dans des situations expérimentales investiguant des dimensions sous-tendant le craving, permettront d’observer des modifications neuronales liées à l’amélioration de la dépendance.
« Ce qui nous intéresse n’est pas tant l’expérience aiguë, pointe le Pr Mallet, mais plutôt de savoir ce qui se passe dans les jours qui suivent la prise du LSD, du point de vue des émotions, de la conscience du trouble addictif, pendant la période cruciale de rémanence où le patient passerait de la consommation compulsive à l’abstinence si le traitement s’avère efficace dans ce dispositif. »
Ces molécules sont déclarées « sûres », c’est-à-dire non addictives et sans risque de surdosage, n'empêche. La vulnérabilité induite par leurs effets subjectifs est un risque bien réel. Ainsi, il paraît peu probable que ces drogues soient un jour dispensées en ambulatoire. En revanche, la renaissance de la recherche fondamentale et clinique à l’hôpital laisse augurer des progrès dans la prise en charge d’affections sans solution et dans les connaissances sur le fonctionnement cérébral.
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