Le digital au service des patients souffrant de pathologies chroniques, c’est une évidence. Les technologies disponibles sont capables en effet de prévenir, de surveiller, d’accompagner dans de très nombreux cas, des plus bénins aux plus sérieux. Que ce soit les applications mobiles ou les dispositifs médicaux connectés, que ce soit les plates-formes de télémédecine ou les outils d’intelligence artificielle, leur usage régulier a démontré leur utilité.
Un exemple parmi tant d’autres, évoqué par Xavier Bouhet, gérant de la société Pharmaclinic, « nous avions mis en place avec un de nos clients pharmaciens un programme de surveillance de prise de poids, qui a mis en lumière le cas d’un patient subissant une perte de poids rapide, notre plateforme l’a envoyé chez un médecin qui a diagnostiqué un cancer ». Mais si le digital s'impose comme une évidence pour suivre les patients chroniques, il n’en représente pas moins un défi pour les pharmaciens. Car devant la pléthore d’outils désormais disponibles, comment choisir et conseiller une application, un dispositif, sachant que l’on est face à des pathologies chroniques ? « Les pharmaciens, tout comme les médecins, sont dans la difficulté de proposer quoique ce soit, car il n’y a pas de validation officielle réelle », souligne le docteur Didier Mennecier, créateur de l’application « Dr Mici » pour aider les patients atteints de la maladie de Crohn. L’absence de certification adaptée à ces outils digitaux est un réel obstacle pour l’implication des pharmaciens dans leur usage. D’où le souhait parfois exprimé d’une véritable certification.
Réglementation et bonnes pratiques
Celle-ci ne peut se faire qu’au niveau européen : les directives européennes priment en effet sur les droits nationaux, il est donc illusoire de vouloir légiférer uniquement en France. Or, il existe déjà le marquage CE des dispositifs médicaux, rappelle le Dr Guillaume Marchand, CEO de Dmd Santé. « Le marquage CE évolue bientôt, simplifiant légèrement les démarches, étend son périmètre d’application. » Mais il nuance d’emblée : « ce n’est pas pour autant le Graal, ce marquage ne signifie pas que le produit est absolument parfait. Il y avait un début de norme européenne d’e santé en préparation, compte tenu du rôle central qu’y jouaient les Britanniques, tout s’est arrêté avec le Brexit », ajoute-t-il. Cette absence de certification européenne adaptée n’est cependant pas un obstacle rédhibitoire, il y a quand même des garde-fous et des aides possibles pour y voir plus clair. À commencer par les bonnes pratiques, publiées par la HAS à la fin de l’année 2016, un référentiel constitué de 101 règles, « le meilleur en Europe », selon Guillaume Marchand, un référentiel qui synthétise les bonnes pratiques face aux problématiques posées par les applications et les objets connectés de santé. La version dédiée aux professionnels de santé devrait être publiée d’ici la fin de l’année, la première était surtout destinée aux industriels. Et enfin, des labels privés de qualité, en tête desquels mHealth, conçu par dmd Santé, compensent aussi, au moins en partie, les manques en matière de réglementation.
Pour le pharmacien, l’essentiel est de préconiser une application, un objet connecté de santé qui ait une réelle valeur d’usage pour les patients. Comment l’identifier ? Outre un label, peut-être faut-il se baser sur la popularité d’un outil, ou sur la façon dont il a été conçu, ou encore selon la société ou l’organisme qui l’a créé. Car, selon Didier Mennecier, 70 % des applications mobiles sont abandonnées dès le premier mois. « Nombre d’entre elles ne sont pas abouties faute d’avoir pris vraiment en compte les attentes des patients. Pour ma part, j’ai créé Dr Mici en fonction des retours de patients que je pouvais obtenir sur une page Facebook à laquelle avait accès un groupe, l’association Hepatoweb depuis. Il suffisait que je pose une question, j’avais 350 réponses. » C’est ainsi que le médecin s’est aperçu de l’importance qu’a pour les patients atteints de la maladie de Crohn de savoir s’ils sont dans une poussée ou pas, et donc de pouvoir s’autoévaluer. C’est ce que propose l’application, outre des conseils pour la qualité de vie, mais aussi un partage d’informations avec le pharmacien. Une application conçue avec peu de moyens, dans un contexte associatif, qui pourtant a su s’imposer.
Trouver des financements
« Cela démontre qu’avec de petits moyens on peut parvenir à éviter des coûts puisque la prévention induite par cette application réduit le nombre d’hospitalisations liées à cette maladie », affirme Didier Mennecier, pour qui le modèle économique n’est néanmoins pas évident. En effet, son application Dr Mici a été développée sous IOS, en environnement Apple, notamment pour pouvoir se connecter à l’application de santé Apple qui semble prendre de l’importance, d’autres acteurs prennent soin de faire de même, mais 80 % des patients sont quand même sous Androïd. Or, malgré les sommes assez faibles nécessaires, peut-être 3 000 ou 4 000 euros, il faut trouver des financements pour assurer ce développement sous Androïd. Le médecin veut regarder du côté des mutuelles, voire de municipalités. « Il n’y a pas, je crois, de modèle de rentabilité avec de telles applications. »
Comment accompagner les pharmaciens
Un pharmacien peut aussi s’adosser à une entreprise à l’assise plus forte, un laboratoire surtout. Mais en réalité, il n’y a pas de bons profils par définition, chaque type de prestataires a ses forces et ses faiblesses. Une association saura s’adapter à la demande des patients n’aura jamais autant d’argent qu’un laboratoire pour développer des outils, un laboratoire aura les moyens, mais jamais l’agilité d’une start-up et la start-up saura trouver rapidement les bonnes solutions mais n’aura jamais la force de distribution commerciale d’un laboratoire. Quel que soit son profil, le prestataire doit accompagner le pharmacien, qui ne peut exploiter seul un dispositif connecté ou une application mobile en lien avec ses patients. L’exemple d’Omron, à cet égard, est intéressant. Fabricant se revendiquant leader mondial sur le marché des tensiomètres, avec une partie de sa gamme connectée, l’entreprise remarque que les pharmaciens n’ont pas encore pris la mesure de l’intérêt offert par la connectivité de ces outils. Mais on peut les aider. « Nous avons mené un vaste programme en Espagne auprès de nombreux pharmaciens pour créer un véritable environnement favorable à l’usage de nos produits, avec notamment de la formation, un système d’accréditation et un package de tensiomètres connectés et de solutions de merchandising », explique Mélissa Leplat, responsable trade marketing Europe du sud d’Omron. Même si le marché espagnol est plus mûr, un tel programme pourrait aussi être déployé en France.
Rôle d’intermédiation
Le rôle du pharmacien ne se limite pas à la préconisation et à la dispensation d’outils digitaux pour le suivi des pathologies chroniques. « Je crois beaucoup plus à une fonction liée au suivi comme par exemple les pharmaciens le font dans le cadre des AVK », estime Guillaume Marchand. Un positionnement qui est en phase avec un mouvement de fond favorable à la création de ce beaucoup appellent un écosystème dans lequel le pharmacien aurait cette fonction de suivi et de surveillance, relié à l’ensemble des acteurs concernés autour du patient qu’il ne faut pas laisser seul, y compris dans l’usage de ces outils digitaux, médecin, hôpital, infirmières etc… C’est quelque part le modèle que poursuivent les acteurs de la télémédecine ceux qui ont en tout cas réservé une place aux pharmaciens. C’est le cas de Pharmaclinic, prestataire dans les domaines des maladies cardiovasculaires et du diabète et bientôt dans ceux de la dermatologie et de l’asthme. « Nous proposons aux pharmaciens un espace conseil dans lequel se trouvent différents objets de santé connectés et notamment un outil d’intelligence artificielle qui permet d’émettre un avis », explique Xavier Bouhet. « Les pharmaciens ne pouvant pas établir un diagnostic, ils jouent ici un rôle d’intermédiation, le patient intègre ses différentes données et le logiciel lui remet un document PDF. Si cela est nécessaire, le pharmacien peut appeler notre plateforme de télémédecine qui conseillera le patient, et selon nos statistiques, quelque 15 % des patients souffrant d’hypertension présentent des risques et nécessitent l’intervention de notre plateforme qui le cas échéant peut conseiller une consultation médicale pour par exemple, une modification de posologie de traitement. »
Pharmaclinic travaille avec une poignée de pharmaciens, qui ont parfois du mal à suivre sur la durée, puisque la moitié d’entre eux a abandonné au bout d’un an de collaboration. La faute au modèle financier, l’investissement est de 6 000 euros la première année puis de 3000 à 4000 euros par an en moyenne. La seule façon de rentabiliser reste le développement d’activités connexes, comme par exemple la micronutrition, et une augmentation sensible du panier moyen. De fait, l’expérience montre que ce sont plutôt des pharmacies dont le chiffre d’affaires est supérieur à 2,5 M d'euros qui réussissent cette expérience de télémédecine, selon Pharmaclinic.
Des entretiens de 7 à 15 minutes
L’autre difficulté à laquelle sont confrontés les pharmaciens est le manque de temps, un entretien dure entre 7 et 15 minutes selon Xavier Bouhet, convaincu cependant de la pertinence de ce modèle. « C’est une façon d’amener les pharmaciens, médecins et infirmières à travailler ensemble », estime-t-il. Être acteur de la surveillance dans une chaîne de soins, voilà semble-t-il la place idéale du pharmacien dans l’usage optimal du digital pour aider les patients atteints de maladie chronique. Mais si l’on sait où on doit aller, reste à savoir comment. Des expériences sont actuellement menées, suivant en cela l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, qui organise la coopération entre les ARS et les acteurs de la santé. Néanmoins, il ne faut pas se voiler la face : « ce sera long car cela suppose quelque part de casser la pyramide des soins actuelle pour réinventer le modèle de soins en France et décloisonner les usages », estime Guillaume Marchand.
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