Paris n’est pas la France. L’adage vaut également pour la pharmacie, tant l'officine parisienne ou francilienne se différencie de l'officine moyenne française. Dans la configuration du réseau officinal qui concentre 18 % des pharmacies françaises tout d’abord, mais aussi dans les particularités de l’exercice professionnel.
C’est ce que révèle l'étude Crocis (1) de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France (CCI) sur la base de l'analyse des chiffres et d'entretiens avec les principaux représentants régionaux de la profession (2).
Première surprise : la densité du réseau officinal est plus faible en Ile-de-France que sur l’ensemble de la France métropolitaine. Paris et sa région dénombrent en effet 32 officines pour 100 000 habitants, soit deux pharmacies de moins que la moyenne nationale.
Il est vrai toutefois que les 3 756 officines d’Ile-de-France sont inégalement réparties. Un quart d’entre elles se situent à Paris intra-muros, où la densité atteint 43 officines pour 100 000 habitants (soit 904 pharmacies sur 100 km2), avec des pics dans certains arrondissements tels que le 15e, le 17e et le 18e.
Les habitants de Seine Saint-Denis sont en revanche moins bien lotis et se partagent seulement 26,6 pharmacies pour 100 000 habitants. La Seine-et-Marne atteint la même densité. Mais ce département, le plus vaste de France, ne totalise que six pharmacies pour 100 km2.
Exposées
Ces disparités ne trahissent pas encore de véritables faiblesses dans le maillage officinal. Mais pour combien de temps ? Car, comme le souligne l’étude Crocis, en termes de disparitions de pharmacies, l’hémorragie est près de deux fois plus importante en Ile-de-France que sur l’ensemble du territoire national.
En huit ans, le nombre d’officines y a diminué de 7 %, contre 4 % en moyenne en France. Pire, la région a dénombré, entre 2010 et 2015, 244 fermetures d’officines, soit 30 % des pertes enregistrées dans l’Hexagone.
L’état du maillage officinal pourrait même se dégrader si on tient compte de la désertification médicale. Car loin d’être une particularité des régions reculées, elle sévit également dans certaines zones d’Ile-de-France, et même dans la Capitale, comme en témoigne dans l’étude, Andrée Ivaldi, présidente du syndicat des pharmaciens de Paris (FSPF) : « A Paris, les loyers étant très élevés, les cabinets médicaux et infirmiers ferment, les 19e et 20e arrondissements manquent de médecins par exemple. » Et de prédire que « cela va entraîner à moyen terme des fermetures d’officines car une pharmacie ne peut pas fonctionner sans environnement médical ».
La menace est réelle pour l’économie officinale. Car si certaines pharmacies parisiennes sont connues mondialement, pour l’image de beauté et de glamour qu’elles véhiculent dans les guides touristiques, loin de ces pages de papier glacé, nombre d’officines voient leur rentabilité baisser. « Les pharmacies les plus touchées sont celles dont l’activité est centrée sur le médicament, en particulier les petites pharmacies de quartier, notamment dans les quartiers défavorisés de banlieue qui ont déjà vu disparaître de nombreux commerces », constate Khadija Lahlou, pharmacienne et vice-présidente de la Chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne.
Des investisseurs non-exploitants
Bien entendu, cette vulnérabilité n’est pas propre aux officines franciliennes. Toutefois, elles cumulent plusieurs handicaps. Tout d'abord la taille, qui est leur premier talon d’Achille. « Les pharmacies sont des établissements de petite taille, un quart des pharmacies franciliennes ont moins de trois salariés, 75 % moins de six salariés », souligne l’étude Crocis qui, citant le rapport 2016 du réseau d’experts-comptables CGP, rappelle que « moins le chiffre d’affaires est élevé et moins la rentabilité est bonne ». Aussi, « au moindre grain de sable, tel que des travaux à proximité de l’officine ou une nouvelle baisse de marge, elles se retrouvent en difficulté », observe Andrée Ivaldi.
Du reste, comme l’indique l’étude Crocis, l’évolution de la cotation de la Banque de France montre une augmentation régulière de la part des plus mauvaises notes, tandis que celle des meilleures cotations recule. Ainsi, en Ile-de-France, aujourd’hui 58 % des officines sont mal notées.
Le sauvetage de la pharmacie francilienne viendra-t-il d’un nouveau modèle capitalistique ? L’étude ne s’engage pas dans ces conjectures mais elle n’en souligne pas moins que 40 % des pharmacies franciliennes sont aujourd’hui constituées en SEL, et que 40 % d'entre elles comptent parmi leurs associés un pharmacien investisseur non exploitant.
Cessions à la peine
Même si les regroupements sont parfois rendus difficiles par l’exiguïté des locaux, notamment à Paris intra-muros, l’association semble être la voie royale dans une région où le prix des loyers et le coût des charges sont très élevés. Pour autant, symptômes des maux de la capitale, les cessions sont à la peine. En témoigne, la moyenne d’âge des titulaires (3) de 51,4 ans contre 50,2 ans pour la France entière. « Le nombre de transactions s’est considérablement ralenti », note la CCI, relevant « un écart entre l’offre et la demande jusqu’à vingt points ».
Rien d’étonnant quand on considère que le multiple de l’excédent brut d’exploitation (EBE) retenu pour fixer la juste valeur d’une officine est de 6,8 à Paris, contre 6,2 en moyenne en France (6,7 en PACA, 6,1 en Rhone-Alpes-Auvergne). Mais là aussi, de fortes disparités marquent le réseau francilien. Une fois franchi le périphérique, le prix de cession moyen n’équivaut plus qu’à 6,3 fois l’EBE.
De même, si les quartiers populaires de la banlieue est de Paris sont particulièrement prisés des acquéreurs, loin de ces zones « boboïsées », plus éloignées de la Capitale, les officines suscitent moins la convoitise des repreneurs.
Ce tableau teinté de notions tant économiques que sociologiques ne doit cependant pas faire oublier les points forts de l’officine. En Ile-de-France comme ailleurs, le nombre de transactions devrait augmenter dans les cinq prochaines années. Certaines cessions pour départ à la retraite ne pourront pas être indéfiniment différées. Une lueur d'espoir donc. Sans compter les nouvelles pistes qui se dessinent pour valoriser le rôle du pharmacien en tant que professionnel de santé. Francilien ou provincial, le paysage officinal n’a pas fini de se remodeler.
(1) Étude Crocis (l’économie en Ile-de-France) : « Les officines de pharmacie en Ile-de-France, un modèle économique à réinventer ». Avril 2017.
(2) Andrée Ivaldi, présidente du syndicat des pharmaciens de Paris (FSPF), René Maarek, président de l’UPRP (Union des pharmaciens de la région parisienne, USPO), Renaud Nadjahi, président de l’URPS Pharmaciens Ile-de-France.
(3) La région Ile-de-France compte 4 312 titulaires pour 20 670 salariés.
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