COMME n'importe quel lieu de travail, l'officine peut être le cadre de conflits entre membres de l'équipe. Remplir la fonction pour laquelle on a été désigné - tâches, responsabilités… -, respecter les modalités d'exercice - horaires de travail, congés, absences… - sont sources d'incompréhensions, d'erreurs, et parfois de fautes, qui peuvent porter les uns et les autres à s'opposer. Ces circonstances sont plus fréquentes dans le tandem que forment l'adjoint et le titulaire, tout simplement parce que, pharmaciens tous les deux, ils ont les mêmes qualifications, les mêmes fonctions, les mêmes responsabilités (hormis financières) pour un statut qui, lui, diffère, l'un étant subordonné à l'autre.
Quel que soit le motif d'opposition entre les deux parties, la première des attitudes à avoir - presque un réflexe - est celle de la conciliation. « Le code de déontologie prévoit que les pharmaciens impliqués dans un litige doivent tenter de le résoudre avant tout autre démarche », rappelle Jean-Luc Audhoui, membre du Conseil national de l'Ordre. S'il n'y a pas d'accord entre eux, les protagonistes peuvent s'engager dans une procédure amiable visant à traiter le conflit avec l'aide de l'Ordre.
Un cas sur deux.
Si le motif du litige est d'ordre professionnel - non-respect du code de la Santé publique, du code de la déontologie, de la convention Sécurité sociale, erreur de délivrance - et met en cause la responsabilité professionnelle d'une des parties, c'est le conseil de l'Ordre qui est compétent pour le régler. « Les personnes impliquées doivent contacter par écrit le président du Conseil dont elles dépendent », explique Jean-Luc Audhoui. Celui-ci va alors désigner un membre de son Conseil chargé de représenter chacun des protagonistes. Les quatre personnes - les pharmaciens en conflit et leurs représentants ordinaux - vont alors se réunir afin de trouver une solution au litige, chaque président de Conseil agissant généralement comme arbitre final. « C'est une démarche qui relève d'une volonté commune de se parler et de s'entendre afin de mettre le problème en perspective. » Si un cas de conflit sur deux est ainsi résolu, cela ne garantit cependant pas que le litige n'aura pas de suites. Dans tous les cas, qu'il y ait un accord ou pas, un rapport doit être adressé aux présidents des Conseils concernés expliquant l'aboutissement de la rencontre. Si celle-ci se solde par un échec, l'affaire peut être portée par un des pharmaciens devant une juridiction. « Trop de pharmaciens oublient que l'Ordre est compétent pour tenter de régler les conflits de nature professionnelle, ajoute Jean-Luc Audhoui. Il faut le leur rappeler ».
Une précaution inutile pour ce titulaire qui, face aux démêlés judiciaires qui s'annonçaient avec son adjoint, a fait appel au Conseil de l'Ordre mais dans un autre objectif que celui de la conciliation. Ce dernier a rendu un jugement à l'encontre de l'adjoint, jugement qui a pu être versé comme pièce au dossier déposé devant le Conseil des Prud'hommes. La structure ordinale a donc ici dépassé sa fonction de conciliateur pour peser en tant qu'instance disciplinaire dans la résolution judiciaire d'un conflit.
Le licenciement comme pierre d'achoppement.
À côté des litiges pour motif professionnel, une autre catégorie de conflits à l'officine est à évoquer, celle qui relève bien évidemment du code du Travail et de la Convention collective. Désaccord sur la rémunération des gardes, sur les indemnités de remplacement, sur le nombre de jours de congés, sur la grille de salaire, sur les absences, sans oublier la question du licenciement, sont quelques uns des thèmes d'opposition les plus fréquents. « La rupture de contrat est la cause de nombreux litiges, explique François Aucouturier, responsable des pharmaciens adjoints de la branche officine de la CFE-CGC. La conjoncture économique a notamment pour conséquence la multiplication des licenciements. Le titulaire veut se séparer de son adjoint car il représente une charge financière importante mais il préfère pousser l'adjoint à démissionner que d'avoir à le licencier. » Et le syndicaliste de citer l'exemple d'un adjoint victime de harcèlement de la part de son employeur qui multipliait les lettres de dénigrement à son encontre. « Jusqu'ici il y avait peu de chômage à l'officine, mais, aujourd'hui, il n'est plus si facile de trouver du travail quand on est assistant. » De ce fait, les adjoints tiennent à garder leur emploi et les plaintes dénonçant un licenciement abusif se rencontrent plus fréquemment. Une nouvelle procédure de licenciement peut néanmoins alléger la situation. Il s'agit du « licenciement conventionnel » selon lequel le contrat de travail est rompu d'un commun accord et prévoit le versement d'indemnités. « Cette procédure facilite vraiment les choses, comparée au licenciement économique et au licenciement pour faute grave qui, pour le premier, interdit à l'employeur de réembaucher un employé au même poste pendant un an, sous réserve de proposer le poste à la personne licenciée et, pour le second, implique de justifier la gravité des fautes par un motif réel et sérieux, ce qui est très lourd. »
Quant au non-respect de la convention collective, il est également source de conflits. Côté adjoint, ce sont souvent des problèmes liés aux jours de congés qui ne sont pas appliqués ou aux grilles de salaires qui ne sont pas respectées. « Le cas des indemnités est également problématique. Certains titulaires considèrent que les gardes et les remplacements font partie des fonctions de l'adjoint, sans qu'il y ait à l'indemniser spécialement pour cela. Les indemnités dues au pharmacien intermittent sont aussi un facteur de conflit parce qu'elles subissent des modifications qui ne sont pas toujours connues. » Côté titulaire, les motifs de litige du fait de l'adjoint sont tout aussi variés : déviance toxicomaniaque, « indélicatesses » allant du « prélèvement » de produits ou d'échantillons dans le stock jusqu'au vol d'argent dans la caisse, sans parler des cas de couples travaillant ensemble et qui tentent de se séparer sur le plan personnel comme professionnel.
Procédure judiciaire.
Quand le conflit ne trouve pas de résolution dans le dialogue, il est possible de saisir le Conseil des Prud'hommes. C'est le début d'une procédure judiciaire dans laquelle le plaignant, s'il adhère à un syndicat, peut en demander le soutien. « Avant toute démarche, il faut être sûr de ce que l'on veut, reprend François Aucouturier. La personne peut finalement décider de rester en poste, quitte à temporiser ses demandes, mais si elle veut vraiment défendre sa cause, elle doit être prête à démissionner au besoin, sachant que l'on peut saisir les Prud'hommes après avoir quitté son emploi. » Le syndicat va alors assister le salarié dans toutes les phases de la procédure : étude du litige et définition des droits du plaignant, aide à la négociation des indemnités, respect de la procédure (courrier recommandé, délais, convocations, entretiens…), aide à la constitution du dossier… Le syndicat peut également assister le salarié lors de sa convocation au Conseil des Prud'hommes et lui servir d'avocat. « Mais nous ne sommes compétents, lors de conflits avec le titulaire, que dans le cadre du code du travail », rappelle François Aucouturier. De nombreux pharmaciens confondent en effet les litiges d'ordre disciplinaire, gérés par le Conseil de l'Ordre, et les entorses faites au code du Travail ou à la Convention collective. Dans tous les cas, « les salariés doivent connaître leurs droits pour pouvoir les revendiquer », comme le précise Patrick Le Métayer, responsable national de la branche officine de FO Pharmacie (Force Ouvrière), tout en indiquant que les litiges entre adjoints et titulaires sont relativement fréquents. « Sinon, face à leur employeur, ils risquent de rencontrer des problèmes pour obtenir l'application des dispositions conventionnelles. »
Pour toute question concernant les droits et obligations en matière de travail, il est possible de contacter l'inspection du travail de son département. Celle-ci pourra conseiller et informer le salarié comme l'employeur et, dans certains cas, intervenir afin de favoriser la négociation entre les parties.
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