Jeter des ponts entre la base des adhérents et la vague montante des jeunes. Il en va de la mission d’un groupement de mettre en relation ces deux générations. C’est en tout cas ce qu’affirme Emmanuelle Stuber, responsable du pôle juridique et social de Giropharm. « Nous ne sommes pas des transactionnaires mais bien des intermédiaires entre les générations, entre nos adhérents qui envisagent de céder et les jeunes, notamment les adjoints, qui souhaitent s’installer », expose-t-elle.
Le groupement dispose ainsi d’une base de données à laquelle sont inscrits pas moins de 130 adjoints candidats à l’achat d’une officine. Que ce soit au cours de la journée de l’installation, comme chez Giropharm, qui a rassemblé près de 35 adjoints, ou encore sous le format du speed dating, de plus en plus utilisé par les groupements, la mise en relation est entrée dans les usages.
Continuer l’Histoire
Aujourd’hui, les groupements vont plus loin. La transmission, ancrée de longue date dans leur culture, est désormais formalisée sous des concepts spécifiques, comprenant la recherche d’une officine, le montage du dossier bancaire, voire une prise de participation financière, tout comme un accompagnement post-installation.
C’est ainsi le cas de PharmaVie, groupement coopérant depuis plus d’une décennie avec Interfimo et qui, en 2012, a mis au point deux formes de financement destinées l’une aux primo-accédants, l’autre au financement de travaux. « Nous avons toujours eu l’esprit pépinière. Mettre le pied à l’étrier des jeunes fait partie de notre culture », rappelle Patrick Lebranchu, son directeur de la communication.
Le parcours de Béatrice Nunez symbolise parfaitement l’action des groupements dans la transmission. Grâce à l'intervention de Pharmactiv, cette pharmacienne chevronnée est parvenue, à l’issue de plusieurs années d’expérience professionnelle, à reprendre l’officine de son ancien titulaire. Celui-ci, en retour, vient lui prêter main-forte en tant qu’adjoint à temps partiel. Installée depuis début janvier dans un quartier niçois en pleine expansion, Béatrice Nunez a vu son apport personnel doublé par le dispositif Initio élaboré par l’OCP et Pharmactiv. « Cela a d’autant été plus facile que ma banque se trouvait être la banque partenaire du groupement. Seule ma comptable a été un peu étonnée par la facilité avec laquelle le dossier a été bouclé », s’amuse-t-elle.
Cette cure de jouvence est un passage quasi obligé pour les groupements, principalement les entités historiques dont la pyramide des âges se trouve quelque peu ébranlée. Pour les groupements les plus récents, il ne s’agit pas tant de répondre à la transition démographique que d’assurer leur expansion par une croissance externe, balisée et sécurisée.
Emmanuelle Stuber ne cache pas le caractère gagnant-gagnant que revêt aujourd’hui l’aide à l’installation. Tout comme David Abenhaim, président et fondateur de Pharmabest, qui affirme « notre démarche consiste à conserver, à nos côtés, des adjoints de valeur qui se retrouvent dans notre idée de l’entreprise officinale ».
Cet impératif a conduit les groupements, au cours de la dernière décennie, à se transformer en investisseurs. D’autant que les profils des jeunes diplômés n’héritant pas d’une officine familiale se sont multipliés au travers du nouveau mode de sélection des études de santé (PACES). Avant toutes choses, la frilosité des banques à soutenir les primo accédants a été l’élément déterminant de la montée en puissance des groupements dans le financement des projets d’installation. « N’ayant pas beaucoup d’apport initial, j’ai suivi le séminaire de formation à l’installation de Giphar et le groupement m’a ensuite épaulé pour monter les dossiers. Le prêt à titre personnel a complété mon apport et a apporté une caution supplémentaire auprès de la banque », expose Éloi Bernard, installé depuis septembre dernier dans les Yvelines.
Comme lui, Benoît Séguy a profité de l’accompagnement précieux d’un groupement. « Sur les dix banques que j’ai consultées pour mon projet d’achat, une seule était d’accord pour me suivre, et encore, pas au niveau que je souhaitais pour réaliser mon acquisition, une officine qui présentait un potentiel énorme mais qui n’était pas exploité », se souvient le jeune titulaire qui a finalement acheté une officine à Brive-la-Gaillarde.
Faire pencher la balance
Ne disposant pas de l’apport financier suffisant, Benoît Séguy a bénéficié du soutien du groupement HPI qui a abondé de manière conséquente au capital propre. Ce complément a radicalement changé la mise face aux banquiers. « La banque était d’accord sur l’évolution attendue de mon projet, sur son potentiel, le business plan était validé, mais elle ne voulait pas s’engager. HPI a apporté davantage qu’une caution, un apport substantiel qui a débloqué rapidement la situation », se félicite le jeune installé. Il avait initialement prévu de rembourser son emprunt sur 12 ans mais envisage déjà d’en avancer l’échéance.
Force est de constater que, face au banquier, le poids apporté par le groupement dans le capital initial fait pencher la balance en faveur du candidat. Divers montages financiers sont possibles pour permettre l’intervention du groupement. Univers Pharmacie, qui fut l’un des premiers à s’investir dans l’aide à l’installation et à lui dédier une entité spéciale, Paris Pharma ou encore Lafayette, privilégient le financement par obligations convertibles. Ce mode de financement reste toutefois assez controversé dans la profession.
Certains groupements proposent un prêt participatif. Giropharm détient pour ce faire d’une « banque d’investisseurs », une quinzaine d’adhérents « bien installés » qui offrent aux jeunes de prendre des parts minoritaires dans les SEL. L’investissement est encadré en amont par un pacte d’associés. Cette prise de participation d’un ou de plusieurs séniors est également d’usage chez Pharmabest.
Dans le même esprit la holding de PHR propose des prêts « confraternels », sous seing privé, jusqu’à concurrence de 50 000 euros qui viennent abonder les autres dispositifs mis en œuvre en partenariat avec LCL, comme l’explique Dominique Brasseur, son directeur général. HPI dispose quant à lui de fonds propres internes réservés au financement des jeunes. « Il s’agit d’une offre non spéculative qui valorise le travail du titulaire à son profit dans le cadre d'un accompagnement global du réseau de pharmaciens HPi Totum », expose Jean-Philippe Carré, en charge du développement du réseau d’HPI Totum. Il précise que le concours d'HPi n’est pas limité, le montant accordé dépendant des besoins du requérant et de l'importance du projet qu'il porte.
Une relève assurée
Les groupements réfutent cependant le rôle d’investisseurs purs. Et insistent sur leur fonction d’accompagnement des jeunes candidats. « Nous percevons l’investissement non pas comme une démarche à haute rentabilité mais comme une démarche coopérative et générationnelle qui permet également au jeune pharmacien de s’appuyer sur l’investisseur pour un partage », précise Emmanuelle Stuber.
Ils défendent avant tout l’idée de la transmission. Loin de tout intérêt spéculatif, comme l'affirme Jean-Philippe Carré. « L'accompagnement global de notre réseau de pharmaciens a pour objectif de valoriser le travail du titulaire à son profit. »
Le message semble bien reçu. S’il voit son indépendance respectée, Benoît Séguy n’en goûte pas moins l’écoute et l’enrichissement dont il bénéficie : « on se nourrit de ce que les autres ont fait, c’est enrichissant et très stimulant. » Philippe Calmels, jeune adhérent Giropharm, installé depuis le 1er février dernier, apprécie quant à lui « d’avoir eu le choix entre trois axes différents. Cela nous donne plus de matière à réflexion en fonction de la typologie de l’officine que l’on veut acheter. À chaque étape, j’ai pu bénéficier d’une évaluation de l’équipe du groupement ».
Sous enseigne Paris Pharma depuis avril 2017, Jean-Christophe Buzelin a pu s'installer grâce à son groupement qui a abondé à son apport personnel par le biais d'obligations convertibles. Un coup de pouce décisif, alors qu'il n'aurait jamais pu compter que sur ses propres deniers. Un an après, il ne regrette en aucun cas son choix. Il apprécie l’entraide qui règne entre les titulaires au sein du réseau ainsi que l’appui fourni par le groupement dans le merchandising, les achats, et en RH, alors qu’il emploie cinq collaborateurs. « Ma trajectoire a été résolument plus rapide », se félicite pour sa part, Julien Grangeon, bénéficiaire du dispositif Pharmabest. Il est encore surpris de l’autonomie que le groupement lui a accordée alors qu’il ne disposait, à son installation, que de 51 % du capital de son officine. De son côté, le président du groupement estime que le soutien apporté aux jeunes candidats leur permet d’acquérir une certaine maturité et d’atteindre une vitesse de croisière plus rapidement. « Ils gagnent au moins dix ans de leur vie », assure David Abenhaim.
Des pharmaciens pour les pharmaciens
En retour, les groupements ont l’assurance de s’attacher des jeunes adhérents impliqués. « J’ai choisi de jouer la carte Giphar », déclare sans ambages, Éloi Bernard. Il s’en faudrait de peu pour que ces jeunes deviennent militants. « Je ne le vis pas comme une intrusion mais comme un partage. Les règles sont posées, si l’on prévoit un gros investissement on en parle, comme entre associés », décrit Benoît Séguy. Philippe Calmels est quant à lui séduit par ce concept qui permet « à des pharmaciens d’accompagner des jeunes de leur profession et inversement, à des jeunes de trouver des personnes qui les suivent dans leurs projets ».
Mais au-delà des histoires humaines qui s’écrivent au cours de ces partenariats financiers, se construit une forme de résistance au sein des groupements, grâce à ces modèles reproductibles. Daniel Buchinger veut y croire. « Il y a davantage de sens pour la profession que le financement des officines vienne des groupements que de fonds d’investissement purs et durs. Ceux-ci ne laisseront jamais la propriété aux jeunes qui resteront surendettés », défend-il.
Dominique Brasseur partage cette analyse : « nous nous adressons à des jeunes pharmaciens en quête d’installation, mais aussi aux pharmaciens en butte à des problématiques d’ingénierie financière au cours de leur carrière. Notre objectif est de leur proposer des solutions garantissant l’indépendance de leur exercice et de les préserver des prédateurs comme les fonds d’investissement. »
Les groupements n’hésitent pas à l’affirmer, leur réponse est la meilleure garantie pour la préservation du maillage officinal, voire le meilleur des remparts contre l’ouverture du capital à des investisseurs étrangers à la profession.
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