« Mon petit Michel Ange », voici comment le professeur de dessin de Louis Pasteur appelait le jeune garçon, lorsqu’enfant, il développa rapidement un talent remarqué pour le pastel. Avant d’être le scientifique que l’on connaît, Pasteur mania donc brillamment les couleurs, aurait même un temps souhaité embrasser la carrière de peintre, et réalisa une galerie de portraits au pastel conservée aujourd’hui en partie dans les collections du musée de l’Institut Pasteur (une autre partie étant au musée Pasteur de Dole situé dans l’écrin de sa maison natale). L’un d’entre eux (réalisé en 1839 alors qu’il avait 17 ans), le portrait de Sophie Roch, une jeune fille d’Arbois - un village de Franche-Comté à proximité de Dole - se trouve aujourd’hui présenté dans l’exposition « Louis Pasteur & Jean-Jacques Henner, une histoire d’amitié » aux côtés d’autres documents d’archive et œuvres d’art rassemblés pour l’occasion. Parmi ceux-ci, trois portraits à l’huile de la famille Pasteur de la main de Jean-Jacques Henner sont particulièrement remarquables. Ces petits chefs-d’œuvre, constituent le point de départ de l’exposition. Ils ont été prêtés au musée Henner par le musée de l’Institut Pasteur, actuellement fermé le temps d’un colossal chantier de rénovation qui devrait durer 4 ans afin de créer une offre muséale complètement nouvelle, dotée de nouveaux espaces d’exposition et de médiation, et de réaliser l’important chantier de recollement et de restauration des collections.
Les deux hommes issus de régions très proches, la Franche-Comté et l’Alsace, se sont tout de suite bien entendus
Portraits de famille
Ainsi, le musée voyage, sort de ses réserves, initiative pertinente pour remédier à sa longue fermeture et toucher d’autres publics alors que les deux musées sont labellisés « Maison des Illustres » et possède donc des caractéristiques similaires pour dialoguer. « Ces trois tableaux viennent tout juste d’être restaurés et racontent l’histoire de la rencontre entre Henner et Pasteur en 1876 par l’intermédiaire du sculpteur Paul Dubois alors que le scientifique cherchait un portraitiste pour sa famille », raconte Laurence Isnard, conservatrice du patrimoine et nouvelle responsable du musée Pasteur. Sur ces trois portraits, celui de Louis Pasteur, de sa fille, Marie-Louise Pasteur et de sa belle-fille Jeanne Boutroux, le vernis scintille, comme s’ils venaient tout juste d’être peints. Évidemment, dans ce lieu, ce retour au bercail revêt un singulier parfum d’émotion. Les rouges carmin et les oranges de feu sur fond noir ébène du peintre jaillissent au creux d’effigies qui s’accordent à merveille avec l’ensemble de la collection de ce petit musée dédié à ce peintre confidentiel, surtout connu pour ces nus féminins lascifs à la rousseur flamboyante.
En face, un portrait de Séraphin Henner, le fils du peintre, entre, lui, en résonance avec le visage juvénile du pastel de Pasteur. Les deux hommes issus de régions très proches, la Franche-Comté et l’Alsace, se sont tout de suite bien entendus. Fervents patriotes et passionnés de peinture tous les deux, ils iront fréquemment au Salon ensemble admirer l’art contemporain de leur époque. Pasteur était un proche de Napoléon III, à tel point que lors de la défaite de 1870, il se mit en tête de créer une bière pour concurrencer celle, très réputée, de l’ennemi ! De son côté, Henner, lors de la perte de l’Alsace-Lorraine, réalisa l’un de ses chefs-d’œuvre, L’Alsace, elle attend, grand paysage ténébreux symbolisant la région endeuillée. Ce tableau, reproduit à de nombreuses reprises à cette époque, le rendit célèbre.
Le musée Jean-Jacques Henner est un écrin chaleureux, un peu mystérieux, resté dans son jus romantique très XIXe siècle
Petite histoire dans la grande
Cette exposition-dossier, toute petite puisqu’elle tient dans une seule salle, retrace avec délicatesse cette amitié de toute une vie, totalement inconnue du grand public, à travers livres, peintures, photographies – dont un très grand portrait de Pasteur par Nadar - et notes manuscrites habituellement à demeure au fond des réserves. On découvre par exemple que, même après la mort du scientifique en 1895, le peintre continua de fréquenter sa famille, rendant visite à sa femme et à ses enfants. On admire aussi quelques études scientifiques de Pasteur qui étaient en possession de Henner. Lettres et documents d’archives étayent cette petite histoire dans la grande histoire en nous dévoilant quelques anecdotes et moments forts de leur quotidien, ainsi d’un agenda indiquant la présence de Jean-Jacques Henner le jour de l’inauguration de l’Institut Pasteur le 14 novembre 1888. Il sera également présent aux obsèques du scientifique.
De son côté, Pasteur témoigna fréquemment son admiration pour le talent de son ami peintre, tel ce jour où il s’insurge que celui-ci n’ait pas obtenu la grande médaille du Salon pour une Liseuse devant laquelle il était pourtant resté en extase : « cette tête si suave, cette couleur adorable, cette transparence des chairs, ces beaux reflets des pages du livre… ». Le musée Jean-Jacques Henner a aussi ceci de charmant qu’il est un écrin chaleureux et un peu mystérieux, resté dans son jus romantique très XIXe siècle, une maison atelier souhaité par un autre artiste au goût très sûr, Guillaume Dubufe, peintre réputé de grands décors (plafonds du buffet de la gare de Lyon, de la bibliothèque de la Sorbonne et du foyer de la Comédie française, ou encore de la salle des fêtes de l’Élysée). Ce dernier, très mondain, était très ami avec le plus discret Henner qui, lui, avait son atelier vers la place Pigalle. C’est la nièce par alliance de Henner qui rachètera la maison aux héritiers de Dubufe pour en faire le musée Jean-Jacques Henner qui ouvre ses portes en 1924, il y a tout juste 100 ans au cœur du quartier chic de la plaine Monceau. Il reste un des rares témoignages d’une architecture et d’une décoration intérieure privée sous la IIIe République, époque qui fut l’environnement de la longue amitié tissée entre Henner et Pasteur.
Exposition Louis Pasteur & Jean-Jacques Henner, une histoire d’amitié, jusqu’au 3 mars 2024. Musee-henner.fr