Indicateur par excellence de la performance officinale, l'excédent brut d'exploitation (EBE) subit directement les fluctuations de la marge brute (voir page 12) qui détermine la capacité du titulaire à payer ses frais généraux et ses frais de personnels.
Le niveau de la marge brute va donc influer directement sur la rentabilité de l'officine, traduite en EBE retraité*, comme le rappelle Joël Lecoeur, expert-comptable chez LLA, membre du réseau CGP. « L'EBE va servir au titulaire à rembourser les emprunts, s'acquitter de la fiscalité liée à son activité, soit l'impôt sur le revenu s'il est en entreprise individuelle, soit l’impôt sur les sociétés, s'il exerce sous forme sociétaire. De plus, l'EBE va permettre au pharmacien de se rémunérer. »
C'est dire si ce ratio est suivi de près par le réseau officinal ! Présenté en valeur, l'EBE gagne 6 800 euros dans les pharmacies suivies par Fiducial, mais 2 400 euros chez celles du réseau CGP et 600 euros seulement pour les clientes de KPMG (voir graphique). Une évolution, certes, mais qui appelle à un constat beaucoup plus sobre : « l'évolution de la marge brute en valeur de 10 000 à 12 000 euros constatée (voir page 12) est quasiment consommée par la progression des frais généraux et des frais de personnels », analyse Joël Lecoeur.
Peu d'écart de rentabilité
L'officine peut-elle se contenter de cette évolution de l'EBE, faible au regard de l'augmentation de la marge en valeur et du chiffre d'affaires ? Après la baisse observée en 2019, cette timide hausse de l'année 2020 peut être une bonne nouvelle. Elle n'en témoigne pas moins d'une fragile stabilité. « On maintient autant que faire se peut la rentabilité des officines », note Joël Lecoeur. Cependant, ajoute-t-il, « les ratios se resserrent si l'on rapporte l'EBE au chiffre d'affaires, et ce quelles que soient la typologie et la taille de l'officine. C'est sans aucun doute un élément important de la crise sanitaire, il y a désormais peu d'écart de rentabilité d'une pharmacie à l'autre ». Les cabinets comptables relèvent ainsi une baisse sensible du ratio EBE/chiffre d'affaires. Il équivaut désormais à 14,25 % pour KPMG, 14,38 % pour Fiducial et 14,51 % au sein du réseau CGP. Trois chiffres qui confirment la baisse constante observée depuis 2017.
À quels facteurs attribuer cet effritement ? Les charges externes, dans lesquelles le loyer pèse pour un tiers, sont stables. Elles restent bien maîtrisées par les titulaires, entre 5,2 % et 5,4 % du chiffre d'affaires, souligne Joël Lecoeur. Les causes de l'érosion du taux d'EBE sont donc plutôt à rechercher du côté des frais de personnels dont le montant se situe entre 10,21 % et 10,8 % du chiffre d'affaires.
Pourtant, les données concernant ce premier poste de dépenses de l'officine sont en réalité encore plus élevées. Comme le révèle Joël Lecoeur, « ce ratio frais de personnel rapportés au chiffre d'affaires est faussé car de plus en plus d'officines sont exploitées sous forme d'association, soit environ la moitié du réseau. Il est par conséquent plus important en réalité. Ainsi, chez CGP nous estimons que pour un seul titulaire, il se situe à 11,08 % et pour plusieurs titulaires à 9,52 % ». Cette différence interpelle souvent les pharmaciens, principalement ceux en mono exercice qui se plaignent de ne pouvoir maîtriser leurs coûts de personnel. Par ailleurs, la rémunération de gérance n'est pas intégrée, et pour cause, dans les frais de personnels.
Comment attirer de nouvelles recrues ?
Autre phénomène que la crise a accentué : les frais de personnels augmentent plus rapidement que le chiffre d'affaires et la marge en raison des nouvelles missions. Ils sont en hausse constante depuis 2017. Après une croissance de 4,80 % en 2019, les coûts de personnels ont à nouveau augmenté de 3,30 % l'année dernière, soit un taux similaire à celui de 2018. « Il faut rappeler que les préparateurs sont désormais autorisés à faire des tests antigéniques et à vacciner, il va falloir payer les heures supplémentaires, embaucher du personnel complémentaire, des étudiants. Ces nouvelles taches qui s'ajoutent nécessitent des embauches et, par conséquent, augmentent la masse salariale », expose Joël Lecoeur.
Enfin, l'expert-comptable alerte sur un autre facteur : la surenchère au niveau des salaires engendrée par la pénurie de main-d’œuvre dans de nombreuses régions. « Nombre de titulaires ont de grosses difficultés pour recruter et ils doivent augmenter les salaires s'ils veulent augmenter leurs équipes, d'où une croissance significative du coût salarial dans les officines pour pouvoir recruter », déclare-t-il. Un sujet sensible, selon lui, qui a été exacerbé par la crise sanitaire. À l’instar d'autres professions, des pharmaciens, mais aussi des préparateurs se sont interrogés au cours de l'épidémie sur le sens de leur métier. « Des titulaires aussi souhaitent changer de voie, des équipes officinales s'usent surtout lorsqu'il manque du personnel », constate Joël Lecoeur.
Le phénomène est assez inquiétant pour que l'expert-comptable en appelle aux instances professionnelles afin que des solutions soient proposées. « Le recrutement ne concerne pas seulement l'installation. Il s'agit aussi d'attirer à nouveau des recrues pour renforcer les équipes », martèle-t-il. « Où sont les gens ? », interpelle à son tour, sur un mode humoristique, Philippe Becker (Fiducial), affirmant que ce phénomène dépasse le périmètre de la pharmacie et même celui de l'Hexagone.
* Retraité, soit avant rémunération du titulaire et cotisations TNS.