En 2018, une grande exposition au Musée de l’Homme nous apprenait tout sur l’Homme de Néandertal en réévaluant son rôle et son importance par rapport à l’Homo Sapiens, traditionnellement considéré comme plus évolué. En effet, le Néandertalien ayant complètement disparu sans que l’on n’ait encore découvert pour quelles raisons, il fut longtemps le plus primitif de la guerre du feu.
Diverses hypothèses ont cours sur son extinction : migration climatique, anéantissement de son espèce par l’Homo Sapiens, perte de subsistance entraînant des phénomènes de cannibalisme, ou même apparition d’un virus. Cette dernière supposition est sérieusement envisagée dans l’optique où un agent infectieux aurait pu se répandre lors de la période de cohabitation du Néandertalien et de l’Homo Sapiens. A contrario, le phénomène d’hybridation des deux espèces aurait tout aussi bien pu mener à l’extinction progressive d’une des deux au profit de l’autre. Les restes archéologiques sont pauvres, cependant, on sait que cet homme robuste au crâne massif avait besoin d’au moins 5 000 kg/calories par jour - un véritable sportif de haut niveau ! - et qu’il se nourrissait du gibier rapporté de ses parties de chasse mais aussi de céréales et de nombreux végétaux.
L’usage des plantes médicinales
Une des découvertes majeures de ces dix dernières années a été de démontrer que nos ancêtres du Paléolithique et du Néolithique savaient se soigner par les plantes. En 2012, par exemple, grâce à une analyse conjuguée de chercheurs espagnols, britanniques et australiens réalisée sur des microfossiles de tartre dentaire retrouvés sur les dents d’individus néandertaliens de la grotte d’El Sidron, en Espagne (Asturies), il a été constaté que ces hommes des cavernes consommaient une quantité très variée de plantes, ainsi que des céréales cuites (grâce à la découverte de granules d’amidon fissurées). Mais au-delà de l’aspect alimentaire, l’intérêt des chercheurs a été animé par la découverte, sur la dent d’une femme, de traces de composés chimiques pouvant provenir de plantes amères, telles l’achillée millefeuille (astringent naturel) ou la camomille (anti-inflammatoire), ingérées intentionnellement comme médicament pour leurs vertus thérapeutiques (d’autant que les chercheurs avaient déjà démontré que le Néandertalien possédait le gène de la reconnaissance du goût amère). Cette hypothèse a en particulier été renforcée par la découverte de résidus chimiques correspondant à de l’ADN de bourgeon de peuplier, riche en acide salicylique. On venait de trouver l’aspirine de l’homme préhistorique ! D’autant que la dent présentait un abcès qui a sans doute impliqué des douleurs. L’enquête se poursuivit avec la détection de la présence de moisissures de champignons, bien connues pour leurs caractéristiques antibiotiques. Les restes fossiles de la grotte espagnole d’El Sidron venaient donc de livrer des secrets essentiels et la toute première preuve d’une pharmacopée préhistorique dans un but d’automédication vieille de plus de 50 000 ans.
En 2007, les fouilles du site israélien Gesher Benot Ya'aqov (Pont des filles de Jacob), baigné par les eaux du Jourdain, avait déjà lui aussi livré de fabuleux trésors : d’une part, la probable première utilisation du feu par l’homme remontant à 790 000 ans (ce qui repoussait la datation initialement supposée d’un demi-million d’années !) et, d’autre part, la présence avérée de milliers de restes de végétaux à usages divers. Ce corpus inédit permit aux chercheurs de remonter aux confins de la nuit des temps et de dégager au moins 55 espèces de plantes et de fruits comestibles, nécessaires à l’alimentation, mais aussi - on peut naturellement le supposer - utiles aux soins du corps et de l’esprit (restes de fruits, fruits à coque, de graines d'arbres, de tiges d'arbustes, de tubercules…).
Un peu moins loin dans le temps, la momie néolithique de Otzi, « l’Homme des Glaces », retrouvée figée dans les montagnes du Tyrol en 1992, a également livré des secrets insoupçonnés. Ce chasseur-cueilleur vieux de 5 300 ans vivait dans une nature déjà domestiquée par l’agriculture, mangeait lui aussi beaucoup de céréales et prenait soin de ne jamais partir à la chasse sans ses précieux champignons médicinaux, dont on n’a pu déceler d’infimes traces.
Tatouages, emplâtres et trépanations thérapeutiques
De par leur activité de chasse et leurs conditions de vie, le corps des hommes préhistoriques étaient sujets à divers traumatismes, tels des fractures ou des lésions articulaires – même si elles s’avèrent finalement moins nombreuses que ce que les historiens avaient pu penser. Les observations récentes ont en effet changé le regard des experts. L’homme des cavernes était plus sédentaire que ce qu’on pensait et doué de connaissances qu’on ne leur prêtait pas auparavant.
La pharmacopée en fait partie, même s’il est évidemment très difficile d’en connaître le contenu précis. Ils souffraient de maladies. Les archéologues ont pu observer des carries ou des résidus insoupçonnés de ce qui aurait pu être des emplâtres à base de farine et de fibre de blé à l’emplacement de fractures. Enfin, les analyses scientifiques ont découvert de nombreux cas de crânes trépanés à visée thérapeutique, impliquant l’intervention d’un praticien – ou plutôt d’un sorcier - qui devait avoir la connaissance du corps et des plantes. Peu de certitudes mais on constate et suppose l’existence de pratiques chirurgicales et de recettes pour se soigner ou se soulager. Plus rare mais éloquent, le cas des tatouages thérapeutiques dont les plus connus et les plus anciens (selon une étude de 2015) sont ceux retrouvés sur le corps d’Otzi. Au nombre de 61, ils constellent le cadavre momifié en plusieurs endroits stratégiques : sur son poignet gauche, dans le bas de son dos, sur son torse, et de manière plus concentrée, sur le bas de ses jambes. À l’instar de l’acupuncture, les scientifiques pensent que ces tatouages réalisés au charbon de bois dans des sillons incisés de l’épiderme ont été placés sur des zones atteintes de maladies articulaires dégénératives telles que l’arthrose. Les populations du Néolithique avaient-elles remarqué les vertus désintoxiquantes et assainissantes du charbon végétal ? Ces tatouages étaient peut-être considérés comme des remèdes remparts contre l’évolution des maladies, à la manière de symboles magiques de protection.
Ethnopharmacologie et zoopharmacognosie
Ces études, qui n’en sont qu’à leur balbutiement, ne nous étonnent guère car il est assez naturel de penser que les hommes préhistoriques se soignaient par les plantes en adoptant un comportement d’automédication. Le manque d’informations archéologiques empêche une recherche approfondie ; cependant une autre piste pourrait apporter des éléments de concordance, celle de l’observation des grands singes, si doués en pharmacopée végétale. Or ne sont-ils pas nos cousins, donc cousin d’Homo Sapiens et de Néandertalien ? Cette perspective nous entraîne sur les chemins croisés de l’ethnopharmacologie et de la zoopharmacognosie. Les chimpanzés, sur leur territoire, pratiquent ce qu’on peut appeler un usage traditionnel des plantes. La primatologue Sabrina Krief, du Muséum national d’Histoire naturelle, a remarqué que les chimpanzés sélectionnaient méthodiquement et minutieusement certaines plantes exclusivement pour se soigner et non pour s’alimenter, afin de pratiquer l’automédication. Mieux encore, leur consommation si précise des plantes a amené les populations qui vivent dans leur environnement à découvrir de nouvelles espèces pour se soigner en les observant. L’immense pharmacopée végétale aux mains des chimpanzés n’est certes pas la même que celles des hommes préhistoriques, mais comme le grand singe, l’homme de Néandertal savait sans doute faire la différence entre une plante thérapeutique et une plante de consommation générale. Aujourd’hui, le champ d’exploration infiniment petit ne cesse de s’élargir grâce à l’emploi des nouvelles technologies physico-chimiques et le séquençage ADN.