Nicole Bertin enfile sa blouse et se dirige directement vers le poste de commande. Fidèle à ses habitudes, elle râle contre celui ou celle qui n'a pas rangé une boîte de complément alimentaire reçue la veille et abandonnée ici, sans qu'on ne sache ni pour qui ni pourquoi ce produit a été commandé.
- Après, on s'étonne de ne pas retrouver les manquants quand le client vient chercher son produit…
Se parlant à elle-même, elle farfouille parmi les bons de promis pour retrouver celui qui est destiné au produit inconnu, ignorant tout de l'intervention du SAMU la veille pour prendre en charge deux patients en urgence. C'était sa journée de repos.
Il est 8 h 50 et Julien, Juliette et Christèle arrivent en même temps. Dans le vestiaire, la discussion s'anime.
- Espérons que la journée sera plus calme qu'hier. Quoique, quand tout se termine bien, ça fait du bien un coup d'adrénaline…
Tu en veux une dose Juliette ? Maintenant que je sais utiliser le stylo injecteur d'adrénaline, je suis prêt à te piquer. À travers la jupe même, si tu veux, répond du tac au tac Julien en mimant le geste.
- J'espère qu'on aura des nouvelles de Monsieur André… Il est très déroutant mais je l'aime bien quand même. Excepté la fois où il m'a fait sa crise à cause d'une rupture de stock, enchaîne Christèle en ressortant de ses poches de blouse cinq stylos et divers tickets. Bonjour Nicole, ça va ? Faut qu'on te raconte tout ce que tu as loupé hier…
La doyenne des préparatrices interroge Christèle et les autres du regard, curieuse de connaître les événements. Au fur et à mesure que ses collègues lui racontent, chacun ajoutant le détail qui fait la différence, Nicole Bertin blêmit :
- Monsieur André, dis-tu ? C'est moi qui l'ai servi la dernière fois. Je m'en souviens parce que, comme d'habitude, il est venu à 19 h 20, ce qui m'a fortement agacée, et il m'a encore fait son discours sur les génériques et le reste. Il m'a demandé si son Kardégic était un anti-inflammatoire, et il m'a dit qu'il lui en restait. Il n'a pas non plus voulu de son médicament contre la tension, parce que, selon lui, et selon un article dans le journal, ça augmentait le risque d'attraper le coronavirus. Comme en plus c'est un générique…
- Si je comprends bien, Monsieur André a tout simplement arrêté son traitement pour le cœur et la tension, analyse Juliette, le visage fermé.
- Oui, mais il est tellement spécial aussi ! Comment j'aurais pu savoir qu'il avait tout arrêté ? Et puis avec lui, c'est toujours compliqué ; c'était l'heure de la fermeture, je n'avais pas envie qu'il me tienne la jambe encore une heure…
Sortie de son bureau où elle prépare le planning de l'été, Karine, la titulaire, s'approche du groupe :
- Mme Bertin, personne n'est coupable. Même si vous lui aviez donné ses médicaments, Monsieur André ne les aurait pas pris. Il est borné.
Puis, se tournant vers chacun, elle poursuit :
- Par contre, nous devons faire preuve de plus de pédagogie et nous assurer que les informations que nos patients entendent ou lisent dans la presse ne sont pas mal interprétées. Je veux également une liste de tous ceux à qui nous avons renouvelé une ordonnance expirée, ou qui n'ont pas pris leur traitement en totalité au cours des dernières semaines. Nous en informerons les prescripteurs si besoin.
(À suivre…)