Une femme de 73 ans, qui n'était plus suivie malgré un antécédent de cancer du sein, est venue en téléconsultation à la pharmacie du Griffon, à Argentan (Orne). À l’issue d'une consultation de trente minutes, cette patiente poly-médicamentée est ressortie de la pharmacie avec une ordonnance de renouvellement de médicaments, une ordonnance pour une radio, une autre pour un doppler, une pour des bas de contention, et une dernière pour une mammographie. « Elle n'était plus soignée, on l'a ramenée dans un circuit de santé », se réjouit Christine Genin-Cossin, la titulaire.
« Quand je me suis installée à Argentan, il y a vingt-sept ans, venant de Lorraine, j'avais dans l'idée qu'une pharmacie était un lieu de santé au sens large », explique la consœur. Une esthéticienne a travaillé dans son officine, ainsi que des infirmières. Mais elle a aussi vu sa ville, et son département, se paupériser, et la « démographie médicale s'aggraver ».
L'Orne vit, en effet, une situation catastrophique : 56 médecins généralistes pour 100 000 habitants, le tiers de la moyenne nationale (voir « le Quotidien », 13 janvier 2020). Selon la CPAM, 12 % des patients souffrant d'affections de longue durée (ALD) n'ont pas de médecin traitant. Des initiatives sont prises, comme des cabinets médicaux à l'Hôtel du Conseil départemental, des pôles de santé (PLSA), mais il reste beaucoup à faire.
L'expérience Télépharm
« Par un ami commun, qui a créé une agence d'intelligence artificielle, j'ai rencontré le Pr Jean-Pierre Blanchère, de la faculté de médecine de Caen (Calvados), très investi dans les questions de e-santé, mais totalement ignorant de la pharmacie de ville. Nous avons réfléchi, rencontré des professionnels de santé d'Argentan, et répondu à un appel à projets de l'agence régionale de santé (ARS) visant à améliorer l'offre de soins dans l'Orne via la télémédecine. Notre projet a séduit l'agence. »
Christine Genin-Cossin est présidente de l'association Télépharm, porteur du projet. À la mort brutale de Jean-Pierre Blanchère, en janvier 2020, elle convient avec sa veuve, Anne Dompmartin, elle-même investie dans Domoplaie, une structure de télé-suivi de plaies, qu'il faut poursuivre le projet de Télépharm.
Ce projet vise à équiper quinze pharmacies du département - dix le sont déjà, les autres le seront d'ici à la fin de l'année - du matériel nécessaire à une téléconsultation. L'ensemble vaut 1 400 euros, subventionné à hauteur de 1 200 euros. Le pharmacien reçoit aussi un protocole et une formation. Le patient prend rendez-vous à la pharmacie, vient à l'heure convenue, le pharmacien prend ses constantes et l'assiste pour le maniement du matériel (stéthoscope, otoscope, etc.). Le médecin interroge et répond en direct, à « l'autre bout » de l'ordinateur. Suivront diagnostic et ordonnances.
« Il nous a fallu trouver du temps médical, poursuit la consœur, car nous voulions des médecins locaux. » Télépharm a trouvé des jeunes médecins, remplaçants non-installés, un oncologue de Caen, un dermatologue, des heures des médecins - parfois retraités - du cabinet du Conseil départemental.
« C'est une consultation complémentaire, insiste Christine Genin-Cossin, mais elle en remplace d'autres et libère du temps pour les médecins. » La présidente de Télépharm a mis les politiques « dans la boucle », tous sont d'accord pour travailler ensemble. « L'objectif est d'améliorer l'accès aux soins ; et l'accueil par les patients, comme par la caisse primaire, est très positif. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues », assure Christine Genin-Cossin, qui prend sa retraite de pharmacienne à la fin du mois, et attend ce temps libéré pour se consacrer à son « autre métier » : Télépharm.