- Comment elle s'appelle ?, demande Damien tout en lisant l'ordonnance que Christèle tient entre ses mains.
- Véronique quelque chose… Inconnue au fichier. C'est la première fois qu'elle vient ici, répond la préparatrice en faisant une grimace.
- Cherche pas. Les Véronique, elles sont toutes insupportables. C'est comme les Jean-Paul. C'est le prénom qui veut ça.
Christèle hausse les épaules ; sans se concerter, les deux collègues regardent autour d'eux pour être sûrs que Jean-Paul ne les a pas entendus.
- C'est de la psychologie à deux balles que tu me fais là. Mais tu n'as pas tout à fait tort. Si elle devient cliente de la Pharmacie du Marché, elle n'a pas fini de nous courir sur le haricot celle-là.
- C'est quoi cette expression de vieux ?, sourit Marion en jetant un œil sur l'ordonnance de Véronique Mazarin. Qui est-ce ?
- Une nouvelle cliente qui a certainement dû se faire jeter des autres pharmacies avant de finir chez nous, ironise Damien. Il va falloir s'en méfier, et ne pas répondre à tous ses caprices ; vous verrez…
Au comptoir, l'impression de Christèle se confirme lorsque Véronique Mazarin lui fait part de son mécontentement :
- C'était un peu long. Je me suis assise pour vous attendre.
- Mais bien sûr Madame, vous avez bien fait de vous reposer. Les ordonnances comme celle-ci sont toujours plus longues à traiter. Il faut remplir un registre et…
- Oui je le sais ça. N'empêche qu'il arrive que ce soit plus rapide. Bref…
Malgré son expérience, Christèle est embarrassée. Comment dire à cette patiente désagréable qu'il faudra revenir parce qu'il manque des médicaments ? Alors que la préparatrice s'apprête à expliquer la situation, la femme l'interpelle :
- Je crois que vous avez oublié des boîtes. Celui-là, il m'en faut au moins trois par jour. Vous voyez, c'est écrit : jusqu'à trois si douleur.
- Justement, j'allais vous expliquer. Je n'ai pas oublié…
- Mais il en manque, j'ai compris. Bon, eh bien vous n'aurez qu'à les apporter directement chez moi. Je ne peux pas me déplacer facilement. C'est un minimum tout de même, pour les bons clients comme moi, poursuit Véronique Mazarin, inflexible, tout en rangeant ses ordonnances dans un dossier plastifié.
Une fois la cliente partie, Damien s'approche de Christèle :
- J'ai hâte de la servir celle-là, pour m'amuser. Stupéfiants, laxatifs, insuline et tout le reste… Ah oui, c'est une bonne cliente, surtout pour la Sécu.
- C'est fou quand même. Elle m'a complètement déstabilisée, alors que j'en ai vu d'autres depuis vingt ans. J'ai eu l'impression de revivre mes premières années de préparatrice. Qu'est-ce qui se passe ?
Les deux collègues tournent la tête, attirés par la voix de J-C dans le back-office. Le pharmacien en colère tient quatre feuilles de papier dans les mains et les lit à Gisèle, postée devant le réfrigérateur :
- Et donc, la HAS recommande de ne plus utiliser le vaccin Moderna pour les doses de rappel. Ça vient de tomber ! Ils sont gentils ces bureaucrates, mais nous, on fait quoi de nos flacons de vaccin ?
- On peut peut-être…, ose Gisèle.
- Non, ça va finir dans le carton Cyclamed ça. Regardez les plannings, les seuls rendez-vous qu'on enregistre depuis la semaine dernière sont pour des rappels. C'est vraiment casse-pieds ces avis qui changent tout le temps.
Arrivant de l'extérieur, Karine brandit son téléphone :
- Vous savez quoi ? Il ne faut plus utiliser Moderna en rappel. Regardez, le Quotidien du Pharmacien vient de publier…
- Te fatigue pas, on le sait déjà, bougonne son associé.
(À suivre…)