Menacée de mort par des antivax

Le bouleversant témoignage d'une consœur italienne

Par
Publié le 30/11/2021
Article réservé aux abonnés

Originaire de Bergame, Cristina Longhini a perdu son père au tout début de la pandémie de Covid qui a frappé l'Italie comme l'ensemble de l'Europe, et le corps a été évacué par les camions de l’armée puisqu’il n’y avait plus suffisamment de corbillards. Depuis, un an et demi a passé et cette pharmacienne qui a été insultée et menacée à plusieurs reprises par les antivax, a décidé de ne plus les tester dans son officine. Et de témoigner.

Cristina Longhini

Cristina Longhini refuse désormais de tester les antivax
Crédit photo : DR

« Assez ! Je n’en peux plus de toutes ces insultes, ces menaces, je ne testerais plus les anti-vaccinations ! » Depuis deux semaines, la pharmacienne Cristina Longhini ne décolère pas. En rendant le passe sanitaire obligatoire, d’abord dans tous les lieux publics (restaurants, bars, cinémas, musées, salles de sport et théâtres) en août dernier, puis en entreprise, le gouvernement a attisé la colère des Italiens antivax et des anti-passe. Et tandis que les manifestations se multiplient chaque samedi dans tout le pays, les opposants à la vaccination s’en prennent maintenant aux professionnels de santé, dont les pharmaciens.

« Ces gens-là sont particulièrement agressifs, ils disent que le virus n’existe pas, que tout a été inventé, qu’il n’y a pas eu de morts, que le vaccin permet de contrôler la population, que les vaccinés crèveront tous, tout cela est choquant et inacceptable ! », confie le Dr Longhini.

Choquant, le mot est lâché et décrit l’état d’esprit de cette pharmacienne originaire de Bergame, la ville italienne qui a payé le tribut le plus lourd à l’épidémie avec plus de 16 000 morts, dont le père de Cristina Longhini. C’était le 19 mars 2020, au tout début de la pandémie. « Au départ, mon père a eu des nausées et une crise de dysenterie, il a appelé son généraliste qui a répondu que c’était probablement une grippe intestinale, son état a rapidement empiré, ma mère également pharmacienne, a tout de suite pensé au Covid-19, elle a rappelé le médecin qui a prescrit des antibiotiques et du paracétamol », se souvient notre consœur. La situation du patient se dégrade rapidement. Il s’évanouit, ne peut plus se lever, ne mange plus et transpire beaucoup, au point que la literie devait être changée six fois par jour, confie-t-elle. Le généraliste insiste et prescrit encore du paracétamol, « il disait que ce n’était pas le coronavirus ».

Du sang et des larmes

Le père de Cristina Longhini est finalement hospitalisé et sa famille porte plainte contre le médecin généraliste pour non-assistance à personne en danger. Mais la place manque cruellement en soins intensifs, à Bergame les hôpitaux sont déjà saturés. Le 19 mars, il meurt. Le récit des jours suivants est terrible : « il n’y avait plus de corbillards à Bergame, le corps a été évacué par l’armée comme tant d’autres et incinéré. J’ai reconnu le corps, j’ai vu les yeux de mon père, il perdait du sang de partout, j’ai compris qu’il avait énormément souffert, on m’a donné un sac en plastique avec ses vêtements ensanglantés, à l’époque, le protocole de destruction des effets personnels n’avait pas encore été adopté », raconte Cristina Longhini. Le jour des obsèques, la pharmacienne est toute seule dans le cimetière, sa mère avait été contaminée : « On avait seulement un quart d’heure à notre disposition et il fallait prendre rendez-vous pour éviter les rassemblements, tout devait aller très vite. »

Après la mort de son père, la pharmacienne a prié, pleuré pendant plusieurs jours. Depuis, plus d’un an a passé et elle n’arrive pas à oublier tout ce sang, les yeux de son père et sa souffrance indescriptible. « Après cela, je ne peux pas affronter les anti-vaccinations qui disent que tout ce drame est un tissu de mensonges, que les camions de l’armée évacuant les corps sont une mise en scène. » Au fil de ses souvenirs, la voix de la pharmacienne s’enroue, se brise et redevient vibrante sous le feu de la colère et de l’émotion, tandis que les mots se bousculent, s’enchevêtrent. Elle raconte les difficultés de la vie au quotidien, les conditions de travail extrêmement dures compte tenu de la situation d’insécurité sanitaire. Elle évoque aussi le statut professionnel ambigu des « pharmaciens collaborateurs » qui peuvent remplacer le titulaire de l’officine, selon l’article 4 de la convention collective. Pourtant, malgré ces responsabilités importantes, ces pharmaciens ont un contrat commercial et leurs compétences ne sont pas reconnues. « Tout cela n’a aucun sens car nous pouvons vacciner les patients, participer à la campagne vaccinale, courir le risque d’être contaminés… Au départ, je me souviens que les pharmaciens ne faisaient même pas partie des catégories prioritaires pour la vaccination, il a fallu se battre », s’agace Cristina Longhini. Pour mieux défendre les droits de ses confrères, elle est devenue conseillère du Mouvement des pharmaciens collaborateurs.

Harcèlement et menaces

Il y a deux semaines, c’était un matin, la pharmacienne a craqué après avoir testé un patient antivax particulièrement agressif. « J’ai même été menacée de mort, des anti-vaccinations ont organisé des piquets devant la pharmacie où je travaille et nous ont menacés, c’était devenu invivable et nous avons décidé de ne plus faire de tests, mais seulement des vaccins. Nous étions à bout de nerfs, j’ai vécu une expérience terrible qui a changé ma façon de voir les choses. » D’un point de vue légal, ces professionnels ne risquent rien. Selon la loi, les pharmaciens ne peuvent pas faire les tests et les vaccins en même temps car, pour éviter les risques de contamination, l’espace doit être désinfecté entre un test et un vaccin. Le personnel doit également changer de dispositifs de protection personnelle.

En Italie, la décision de ces pharmaciennes a suscité des réactions mitigées, mais, en général, « nos confrères nous soutiennent, j’ai reçu des fleurs à la pharmacie et des billets de remerciements, beaucoup de pharmaciens voudraient en finir avec les tests, mais ils ont peur de prendre position, de parler en public à cause de la violence des anti-vaccinations ».

Ariel F. Dumont

Source : Le Quotidien du Pharmacien