- C'était un village de 300 âmes tout au plus. On s'arrête au feu, pile devant une toute petite pharmacie ! Mais quand je dis petite, c'était une « véranda » comme l'a justement souligné mon fils.
Christèle, de retour de congés, raconte à Gisèle son périple en Corse. Assise à son bureau devant une pile de courrier à ouvrir et traiter, l'employée secrétaire délaisse depuis quelques minutes son travail de paperasserie pour écouter sa collègue.
- Et vous êtes descendus pour voir à l'intérieur ?
- Oh non, on était pressé d'arriver à Ajaccio. Déjà que les enfants râlaient parce qu'on n’allait pas à la plage ce jour-là… Mais on a vu d'autres minuscules pharmacies dans d'autres villages qu'on a traversés. Et à l'inverse, il y en a d'immenses à Propriano ou Porto-Vecchio. Je me demande dans quelle pharmacie je préférerais travailler si j'avais le choix…
- Bah, ça doit être un peu ennuyant quand il n'y a pas d'activité, lui rétorque Gisèle en se levant pour se servir un thé.
- D'un autre côté, dans les pharmacies du bord de mer, ça doit être rendement, rendement et rendement !
- Christèle, votre chemin des croix vertes en Corse est très intéressant, mais on a besoin de vous en orthopédie, pour un essayage, intervient Marion.
Le ton est courtois mais un peu sec. Surprise et surtout vexée d'être remise à sa place par la nouvelle adjointe, la préparatrice bafouille quelques mots pour s'expliquer, avant de s'éloigner :
- Oui, bien sûr. Il n'y avait personne tout à l'heure…
Gisèle regarde sa collègue repartir et soupire. Pendant un instant, elle soutient le regard de Marion puis se remet à ses tâches administratives en ronchonnant.
Le temps passe et l'activité en front-office finit par s'essouffler en fin de matinée. Lorsque Nicole Bertin passe près de Gisèle, cette dernière l'interpelle doucement.
- On n'a même plus le droit de discuter ! Tu sais ce qu'elle a fait à Christèle la nouvelle ?
- Non ?
- Elle lui a signifié illico presto de se remettre au travail. Christèle me racontait un peu ses vacances, alors qu'il n'y avait personne dans la pharmacie, chuchote Gisèle.
- Et quand bien même, on n'est pas des machines ! Les clients peuvent bien attendre deux ou trois minutes de plus. Je te l'ai dit, c'est une peste cette Marion. Si elle me cherche trop des noises, j'irai en parler à J-C.
Nicole marque un temps d'arrêt.
- Ou mieux encore, j'en parlerai à sa mère, Élisabeth. Je la rencontre le dimanche matin au marché. Comme ça, je suis sûr que ça lui reviendra aux oreilles. Élisabeth a toujours détesté les pharmaciens qui se prennent pour des chefs !, dit la préparatrice avec un sourire satisfait.
L'attention des deux complices est soudain attirée par des éclats de voix, en provenance de l'espace clients. Accourant près du comptoir, Nicole et Gisèle trouvent Marion et Jean-Paul en discussion animée avec une femme portant un panneau sur son dos, avec l'inscription : « liberté de choisir - Pas de vaccin poison pour nos enfants ! ».
Devant la pharmacie, sur le parking, une trentaine de personnes scandaient des slogans pour protester contre le passe sanitaire et le vaccin.
(À suivre…)