Quand Jean Castex, que le grand public ne connaissait pas, a été nommé chef du gouvernement, il a sans aucun doute reçu une belle promotion. Il s'y engagé avec ardeur et confiance et il aurait pu dire, comme autrefois Raymond Barre, qu'il serait un Premier ministre « à part entière ». Il l'a été et l'est encore, mais il n'a pas la morgue d'Emmanuel Macron, de sorte qu'il a semblé sinon dépassé, un peu perturbé par l'acharnement de la pandémie. Depuis la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, la notion de Premier ministre-fusible a perdu de ses vertus. L'impopularité, en cas de crise grave et Dieu sait si c'en est une, balaie les deux branches de l'exécutif. Tant qu'à en subir les effets indésirables, le président préfère les supporter s'il y a au moins une chance qu'il convainque ses concitoyens.
On a déjà vu que Nicolas Sarkozy n'a pas changé de Premier ministre. Mais ils se sont quittés en des termes épouvantables. Après quoi, François Hollande a préféré prendre un ministre pour chaque saison : un Jean-Marc Ayrault pour rassurer la gauche qui, l'avait élu, un Manuel Valls pour entreprendre les indispensables réformes et un Bernard Cazenave pour préparer la présidentielle à laquelle il a renoncé à se présenter. Trois hommes, trois programmes. Mauvais exemple, car Macron en a voulu deux au moins, et il s'est trompé.
Le sort de l'exécutif se complique avec la croissante popularité d'Édouard Philippe : on l'a compris après le départ de Chirac, les Français ne commencent à adorer leurs dirigeants que lorsqu'ils sont mis à la retraite. Sauf que le maire du Havre a gardé son petit côté conquérant, assorti d'une simplicité de manières et d'un ton doux qui s'opposent singulièrement à la fermeté mâtinée de ruralité d'un Jean Castex. Ce qui freine, ralentit, bloque le nouveau Premier ministre, c'est le succès surprenant de l'ancien : on observe l'action de M. Castex, on regarde son reflet flatteur dans un autre miroir et on se demande pourquoi Philippe est au Havre et pas à Paris. Balivernes ? Mais c'est de cette manière que marchent les affaires : le peuple désire ce qu'il avait et n'a plus. Il est toujours voué à la nostalgie, surtout quand il s'agit de dirigeants dont il a gardé la toute fraîche mémoire.
Abattre le diable
Aussi bien, si Emmanuel Macron ne saurait limoger M. Castex dans les mois qui viennent, il ne doit pas être tenté par la désignation d'un troisième homme. Ce n'est pas nécessaire et la pire des fautes consiste, pour un président, à corriger la première erreur. Si je continue à penser qu'il aurait dû garder M. Philippe, je ne le vois pas en train de suffoquer dans la nasse. Il est assuré de la dévotion de M. Castex, homme d'une intégrité absolue et il ne craindra pas M. Philippe tant que celui-ci continuera de l'aider à remporter les élections de 2022, ce à quoi, me semble-t-il, il s'est engagé.
On ne manquera pas de réfléchir sur la distance qui sépare le jeu des institutions, et l'usage qu'en font nos dirigeants, des « terribles pépins de la réalité », comme l'écrivait si bien Jacques Prévert. Il est certainement important qu'un personnage public ait de la personnalité et, d'ailleurs, là n'est pas la question, M. Castex n'en manque pas. Mais il faut en même temps, si j'ose dire, abattre le diable. Juguler une pandémie qui, pour être mondiale, n'en est pas moins un problème national ; trouver les moyens de financement de la crise tout en essayant de réduire les inégalités ; revenir un jour à moins de dépenses et plus de croissance ; donner, en quelque sorte, un espoir au peuple, un espace qui lui permette de regarder jusqu'à l'horizon, le réconcilier avec une existence qui est devenue dangereuse, qui le rend apathique et incertain, qui menace son avenir et celui de ses enfants. Ce n'est pas une tâche facile ? C'est la tâche du président.