Ce qui implique la persistance des mesures de protection qui s’ajouteront à celles qui ont été mises en place depuis le 11 septembre, puis en 2015, en prévention du terrorisme. Comme l’a largement démontré le déconfinement, la « liberté » des individus, loin d’être recouvrée, se fera sous la forme de contraintes de toutes sortes. Ce qui semble démentir les théories permettant de bâtir une société différente, meilleure et plus égalitaire. Certes, dans l’enthousiasme de la reconstruction, les obligations de sécurité ne devraient pas peser excessivement. Il n’empêche que notre inévitable affaiblissement économique ne suffira pas pour poser les bases du changement. Des millions de Français n’auront pour principale préoccupation que de retrouver un emploi et leur détresse personnelle ne les mènera pas au Graal, car l’offre sera, pendant des années, inférieure à la demande.
Plusieurs schémas nous ont été proposés : celui de la révolution sociale et de la réapparition du dirigisme économique. Les temps sont assez durs pour que nous ne négligions pas cette hypothèse. Mais comment y croire dans un contexte européen où nous serions les seuls à nous y aventurer ? L'autre grande proposition est celle des écologistes, qui n'ont pas tort de mettre à profit le séisme qui a ravagé le pays pour introduire, dans tous les aspects de la réindustrialisation, le souci environnemental. Ils sont persuadés qu'il est possible d'associer la prospérité à la lutte contre le réchauffement climatique, mais la volonté des Français de travailler le plus vite possible peut se contenter des projets les plus classiques, donc les plus rapides et les plus efficaces du point de vue du retour à l'emploi.
La semaine dernière, « Time magazine » publiait l'article d'un essayiste hollandais, Peter Bregman, l'Européen le plus optimiste du continent. Il décrit les lendemains radieux du coronavirus, avec une croissance propre dictée, non pas par la volonté humaine, mais par la nécessité qu'impose la pandémie. Il cite avec enthousiasme Greta Thunberg et l'essor fulgurant des thèses de l'économiste français Thomas Piketty, passé, avec un seul (mais gros) ouvrage, de l'anonymat à la gloire. Il constate que les penseurs les plus conservateurs de l'économie libérale ont changé d'orientation, comme le démontre la lecture attentive des essais publiés dans le « Financial Times », l'autorité en matière d'économie et de finances.
Un risque pour les travailleurs
Personne ne niera que la financiarisation de l'économie a creusé les inégalités comme jamais auparavant, même si la mondialisation a permis à des milliards d'individus de sortir de la misère et aux Banques centrales d'inonder les marchés de liquidités quand la faillite pointait son nez. Mais, nous dit-on, dans une société protégée par les régulations, nous n'aurons plus besoin de soigner le mal par le mal. Il n'empêche : où sont les pays prêts à cette reconversion, et combien de temps prendrait-elle, alors que des dizaines de millions de personnes sont menacées par la misère et même par la famine ? Les ravages causés par le Covid-19 représentent-ils les structures favorables à une telle révolution ? Il n'y a pas d'emplois sans croissance et la recherche d'une croissance bénéficiant d'abord à l'environnement peut retarder le retour à un plein emploi qui, avant la crise sanitaire, n'a pas vraiment bénéficié à la France. De sorte que la nécessité et l'urgence peuvent faire dérailler les visions les plus audacieuses et les renvoyer aux calendes grecques.
Et il ne s'agit pas d'un problème politique. Il s'agit d'une question de survie de l'humanité. D'une certaine manière, les promoteurs d'un bouleversement structurel de la société de consommation privilégient un objectif noble en prenant des risques pour le compte des travailleurs salariés.