L’Institut Karolinska de Stockholm a décerné cette année le prix Nobel de médecine à la découverte du virus de l’hépatite C (VHC). La découverte en 1988 du virus a entraîné l’élimination des hépatites post-transfusionnelles presque partout dans le monde. Puis l’arrivée des antiviraux à action directe (AAD) a permis de guérir l’infection, autorisant l’espoir d’éradiquer un jour le virus.
« J’étais un peu étonné qu’aucun prix Nobel n’ait récompensé des travaux sur le virus de l’hépatite C, explique le Pr Jean Dubuisson, responsable de l’unité virologie moléculaire et cellulaire à l’institut Pasteur de Lille et ancien collaborateur de Charles Rice. En l’espace de 20 ans, on est passé de l’identification d’un virus aux antiviraux d’action directe (AAD) très efficaces. Pour moi, c’est vraiment une "success story". »
Tout a commencé dans les années 1970, avec Harvey Alter des Instituts nationaux de la santé américains (NIH) qui travaillait sur la survenue d’hépatites après transfusion sanguine. Malgré la découverte récente du VHB (prix Nobel en 1976), l’équipe américaine avait constaté avec inquiétude un grand nombre de cas d’hépatites post-transfusionnelles non expliquées. Après avoir observé que le sang de patients infectés pouvait transmettre la maladie à des chimpanzés, l’équipe des NIH a révélé que le pathogène présentait les caractéristiques d’un virus, qui sera dénommé « non-A, non-B ».
Parvenir à débusquer le virus
Malgré tous les efforts déployés avec les outils disponibles à l’époque, le virus est resté très difficile à débusquer pendant une décennie. Et il a fallu l’intervention du chercheur britannique Michael Houghton, qui avait émigré aux États-Unis pour travailler dans la firme pharmaceutique Chiron, pour passer le deuxième cap. Pour Philippe Roingeard, chercheur INSERM dans l’unité U1259 « Morphogenèse et antigénicité du VIH et des virus des hépatites (MAVIVH) » à l’université de Tours, « le vrai découvreur du virus de l’hépatite C, c’est Michael Houghton !, s’enthousiasme-t-il. On n’arrivait pas à cultiver le virus (...). C’était un véritable tour de force à l’époque ».
Pour ce faire, l’équipe de Michael Houghton a collecté des fragments d’ADN extraits du sang de chimpanzés infectés dans l’espoir d’en trouver certains d’origine virale. Après avoir étudié les anticorps développés par les patients infectés, les scientifiques ont établi des recoupements avec les fragments suspects.
« Lorsque je l’ai reçu pour un congrès en 2009, Houghton m’a avoué qu’après 10 ans de travail et des milliers d’ARN testés, il était à deux doigts d’arrêter. Quand une culture cellulaire est devenue soudainement positive », se souvient le Pr Patrick Marcellin, hépatologue à Beaujon. En déroulant le fil, l’équipe a montré que ce clone était dérivé d’un ARN viral appartenant à la famille des Flavivirus : dès lors a été retenue la dénomination de virus de l’hépatite C.
À cette étape, une question restait non résolue : le virus pouvait-il entraîner à lui seul l’hépatite ? C’est là qu’arrive en scène le troisième protagoniste, Charles Rice, chercheur à la Washington University à Saint-Louis. Le scientifique a généré un variant de l’ARN du VHC : un mini-génome appelé réplicon. En montrant chez le singe que l’administration de cet ARN entraînait l’apparition du virus dans le sang ainsi que des altérations pathologiques observées chez l’homme, Charles Rice a prouvé que le VHC était seul en cause dans les cas inexpliqués d’hépatite post-transfusionnelle. Ce réplicon, qui permet d’étudier chaque étape de la vie du virus dans les cellules, a ouvert par la suite tout un champ d’application en recherche, notamment en thérapeutique. L’arrivée des AAD rend l’éradication possible en théorie. Avec 70 millions de cas par an, l’hépatite C est encore à l’origine de 400 000 décès et l’une des causes majeures de cancer du foie.