- Je n'arrive pas à croire que tu nous quittes la semaine prochaine. Et tu pars quand à la Réunion ?, demande Damien en consultant le message DGS-Urgent tombé la veille.
- Je suis convoqué le 20 juillet. À moins que…
- À moins que quoi, Julien ? Ne me dis pas que tu vas tout annuler ?
- Je ne voulais pas dire cela. Je ne remets pas mon choix en question. Mais comme l'épidémie de Covid continue d'évoluer, je me demande chaque matin si le poste va être maintenu.
- Quel rapport ? Arrête de psychoter mon vieux. Dans une semaine, tu seras sous les cocotiers à siroter un jus mangue ananas. Tiens, regarde celui-là qui entre sans son masque ; c'est le troisième aujourd'hui. Et comme les autres, il va me dire qu'il ne s'en était pas aperçu !
Damien et Julien laissent le client non masqué s'approcher du comptoir. Poliment, Damien le salue avant de lui faire remarquer son oubli :
- Monsieur Garaud, je crois qu'il vous manque quelque chose.
L'homme lui sourit, mais ne comprend pas. Derrière le plexiglas du comptoir, les deux collègues s'amusent de la situation. Le client continue à trifouiller dans sa sacoche, cherchant son ordonnance et sa carte Vitale.
- Monsieur, votre masque, finit par lâcher Julien.
Monsieur Garaud semble confus. Portant sa main sur le front, il lance :
- Je ne m'en suis pas aperçu, dites donc !
Julien contient son rire. Damien se retourne, hilare, faisant mine de ramasser une boîte imaginaire qui serait tombée au sol.
Le jeune pharmacien laisse finalement son ami s'occuper du patient étourdi. Depuis quelques jours, l'activité est au ralenti à la pharmacie.
- Qu'est-ce qui vous faisait autant marrer ?, l'interpelle Marion.
Après lui avoir fait le récit, Julien décide de changer de sujet :
- Au fait, tu as parlé avec Karine pour une éventuelle formation sur l'accompagnement des patients en oncologie ?
- Je ne suis pas sûre de vouloir suivre une formation sur cette thématique, répond l'adjointe.
Son sourire s'est effacé brusquement.
- C'est pourtant une mission qu'il nous faut prendre en main. Après, je peux comprendre que…
- Non, je ne crois pas que tu puisses comprendre. J'ai dû mal à parler de ça, parce que c'est encore trop tôt. J'ai été soignée pour un cancer l'année dernière. Et j'ai juste envie de ne plus entendre parler de cette maladie.
Julien est gêné. Il ne sait pas s'il doit s'excuser ou dédramatiser. Il choisit le silence.
- Je ne suis pas comme ces personnes qui se débattent à fond en s'engageant dans une association, ou qui affichent leur cancer ! Ce que fait Axel Kahn par exemple est formidable : il n'a pas honte de dire qu'il est malade. Mais moi, je n'y arrive pas. Ces effets atroces sur ma peau, mes cheveux, sur tout mon corps, j'aimerais les oublier. Mais chaque patiente que je sers pour une boîte de létrozole ou de tamoxifène me ramène à cette mauvaise expérience.
Un rire nerveux l'envahit.
- Je ne sais même pas pourquoi je te parle de ça…
Voyant son embarras, Julien reprend la conversation :
- Ça te dirait de répondre à cette enquête du « Quotidien » ? Ça nous occupera. Il n'y a pas foule aujourd'hui.
- Allez, c'est parti. Elle parle de quoi cette enquête ?
- D'interpro. De nos relations avec les autres PS. Et nous avons vécu cette relation de près la semaine dernière (épisode 111), tu te souviens ? Au fait, tu fais quoi le 14 juillet ? Je fête mon départ avec l'équipe. Tu es la bienvenue Marion.
(À suivre…)