Tandis que Christèle et Marilyne installent le sapin en bois dans l'entrée de la pharmacie selon les indications de Karine, Gisèle, dans le back-office, est accrochée au téléphone. Les communications s'enchaînent, tantôt pour des rendez-vous vaccinaux, tantôt pour des tests. Depuis un mois, l'employée logistique doit faire face à une augmentation incroyable des appels. Pour faciliter ce travail, Karine et J-C l'ont équipée d'un casque de standardiste. Avec le nouveau système de téléphonie, Gisèle peut également transférer plus facilement les appels en interne en fonction de l'interlocuteur privilégié.
- Oui, Gisèle, c'est pour quoi ?, demande J-C qui a pris la communication.
- Madame Mazarin sur la ligne une. Pour une histoire de médicaments…
- Elle est fatigante celle-là. Dites-lui de rappeler, je suis occupé, s'agace le titulaire.
- Mais ça fait déjà trois fois que je lui dis ça.
- Eh bien ça fera quatre.
Gisèle, embêtée mais docile, répond finalement à la cliente qu'un pharmacien la rappellera dans la matinée.
- Le problème, c'est que les gens qui téléphonent se croient prioritaires sur ceux qui sont présents à la pharmacie. C'est pas comme ça que ça marche, dit J-C à Marion, qui finalise un dossier près de lui.
- Le téléphone n'arrête pas de sonner. Gisèle assure… mais en quelques semaines elle est devenue plus standardiste qu'employée logistique, constate la pharmacienne.
- J'ai appelé un copain ce week-end, installé à Paris. C'est pareil chez lui. Le téléphone est devenu la bête noire de la pharmacie, intervient Jean-Paul.
- Sans compter l'interruption de taches que cela entraîne, reprend Marion.
- C'est-à-dire ?, interroge Théo.
- C'est-à-dire que le fait d'être dérangé sans arrêt pour quelque chose alors qu'on est déjà en train de faire une tache, ça augmente le risque d'erreur. En industrie, on fait très attention à ça. Par exemple, si je sers un patient et que je suis interrompue, le risque de faire une erreur est majoré lorsque je reprends ma dispensation.
- Ça s'appelle être multitâches. Ça a toujours été comme ça en pharmacie ; faut pas avoir les deux pieds dans le même sabot, c'est tout, répond sèchement Jean-Paul.
- Mais ce n'est pas la normalité. Ce n'est pas parce qu'on a pratiqué de cette façon pendant des années que c'est la bonne façon de faire. Ce n'est pas sécurisant pour le patient, s'agace Marion.
- Ça se soigne docteur ?, se moque son collègue.
- Oui, il y a des méthodes, des procédures à mettre en place…
- Ah oui, je vois. La qualité et toutes ces conneries, finit par dire le vieux pharmacien en s'éloignant.
À nouveau, le téléphone sonne et tous regardent dans la direction de Gisèle, qui pour la vingtième fois de la matinée répond, un peu lasse :
- Allô Pharmacie du Marché. Gisèle. Que puis-je pour vous ?
- Gisèle ? C'est moi, Julien.
Interloquée, la standardiste se reprend :
- Julien ! Ça, c'est une belle surprise. J'étais à deux doigts de jeter ce maudit téléphone par la fenêtre, ou du moins par la vitrine. Enfin, par où tu veux. Il n'arrête pas de sonner, c'est insupportable. Mais dis-moi, tu m'appelles de la Réunion ?
- Non, je suis revenu en métropole quelques jours. Et…
- J'espère que tu vas passer voir tes vieilles collègues.
- J'allais justement te l'annoncer. La semaine prochaine, juste avant Noël. En attendant je te laisse avec ton meilleur ami le téléphone, plaisante le pharmacien.
Gisèle sourit. Elle s'apprête à prévenir l'équipe du prochain passage de Julien, mais un nouvel appel l'arrête dans son élan.
(À suivre…)