Debout près du comptoir, Théo attend tranquillement que Jean-Paul remarque sa présence pour lui poser sa question. L'étudiant en quatrième année de pharmacie préférerait demander à un autre membre de l'équipe, certain que l'aîné des pharmaciens va le renvoyer sur les roses. Mais personne n'est disponible.
Julien prend des mesures de bas pour Madame Rocque. Damien réceptionne une commande et Gisèle, qui n'est ni pharmacienne ni préparatrice, ne sera pas capable de lui répondre. Il entend, dans le bureau de Karine, les voix de Nicole Bertin et de Marion. « Ça a l'air de barder. Pas le moment de les déranger », songe le jeune homme, tandis que Jean-Paul se retourne vers lui.
- Qu'est-ce que tu veux l'apprenti ?
Théo fait une grimace derrière son masque.
- C'est que le monsieur que je sers voudrait des autotests…
Sans le laisser terminer, Jean-Paul réplique :
- Julien t'a montré comment ça fonctionne, il me semble. Alors quel est le problème ? Va falloir être plus autonome mon bonhomme.
- Oui, j'ai bien compris comment ça marche. Mais ce client veut des autotests pour ses chiens.
Jean-Paul regarde l'étudiant, ahuri.
- Qu'est-ce que c'est que ce zigoto encore ?
Les deux collègues se dirigent vers un homme, un sexagénaire à la tenue extravagante. Monture de lunette jaune, chemise à fleurs d'une époque révolue, et casquette de supporter du stade rochelais, Monsieur Bertaud est un professeur agrégé de sciences physique, à la retraite, et un fidèle de la Pharmacie du Marché. Bien que ses demandes soient extraordinaires, il a toujours été satisfait des réponses apportées. Pourtant aujourd'hui, le client tique un peu ; il ne connaît pas ce pharmacien, qui d'ailleurs ne lui inspire pas confiance :
- Christèle ou Damien ne sont pas là ?
- Non, répond le pharmacien, d'un ton antipathique. Alors, comme ça, vous voulez acheter un autotest pour votre chien ? Ça va pas être possible, Monsieur. Le Covid est une infection humaine. Premièrement. Et deuxièmement, ces autotests sont conçus pour les hommes, pas pour les animaux. Après, si vous voulez en acheter quand même, je ne vous en empêcherai pas.
- Cher Monsieur, ce n'est pas tout à fait cela que je demande. Si vous faisiez preuve d'un minimum d'attention à l'égard de vos clients, vous m'auriez laissé vous exposer mes intentions. Pour votre gouverne, sachez que mes chiens participent à une étude en cours, pour évaluer leur capacité à détecter le virus du Covid dans la sueur. Évidemment, j'imagine que vous n'avez pas le temps de lire les journaux. Vous êtes certainement trop occupé à regarder vos chevilles…
- C'est bon, c'est bon. Je sais reconnaître mes torts et j'admets que je vous ai pris pour un farfelu. En même temps, on m'a un peu aidé, répond Jean-Paul, en tapotant sur l'épaule de Théo rouge écarlate. Je suis Jean-Paul, et je suis tout ouïe. Vous m'intriguez.
Le client, bon joueur, accepte la réponse du pharmacien comme s'il s'agissait d'excuses et les deux hommes commencent à discuter. Théo se sent de trop, mais il ne sait pas comment se dégager de cette situation. Au loin, la discussion entre Marion, Karine et Nicole Bertin, semble de plus en plus houleuse.
Dans le bureau, la titulaire se lève brutalement.
- Bon, on se calme. Madame Bertin, J'AI demandé à Marion de faire le point sur l'utilisation du code DAD avec tout le monde. Ce n'était pas contre vous.
- Elle m'a appelée Monique, l'interrompt la préparatrice.
- Je me suis excusée, réplique Marion. Vous êtes sept dans l'équipe, je n'ai pas encore retenu tous les prénoms, désolée.
(À suivre…)