- Ici, les formes injectables. Là, les externes. Dans les tiroirs, les formes comprimés, gélules, capsules.
Chaque fois qu'un nouvel employé débute à la Pharmacie du Marché, Nicole Bertin répète inlassablement les mêmes observations sur le rangement des spécialités stockées dans l'officine. Depuis qu'elle exerce ici, les titulaires lui ont toujours confié ce rôle de guide, qu'elle prend très au sérieux. Fidèle à son habitude, elle ouvre un tiroir, jette un œil au milieu des boîtes, puis soudain en saisit une et la brandit. Faisant bien attention à ce que tout le monde l'entende, elle déclare :
- Janvier 2020. Je suis sûre d'en trouver tout un tas. Lou ! Tu ne devais pas trier les périmés ?
Le jeune étudiant qui l'accompagne observe la scène, ne sachant quoi répondre face à cette préparatrice un brin autoritaire. Il s'appelle Théo et c'est son premier jour à la Pharmacie du Marché.
- Il y en a souvent ? Dans l'autre pharmacie où je vais travailler pendant l'année, nous avons un robot. C'est bien pour gérer les stocks de périmés…
- Ah oui ? Ici, notre robot s'appelle Lou et les périmés, elle s'en moque complètement, réplique sèchement Mme Bertin. On continue.
À quelques mètres, Damien, Julien et Christèle ne peuvent s'empêcher de sourire. Tous ont connu cette première visite avec Nicole, et la scène du périmé est un classique.
- Tu crois qu'il reviendra demain le petit Théo ? Pauvre gosse, lance Damien à Christèle entre deux patients.
- On est tous restés. Mais je pense qu'elle est encore plus dure avec les apprentis préparateurs qu'avec les bébés pharmaciens, répond Christèle, se remémorant le premier contact avec la doyenne des préparatrices, alors qu'elle n'avait que quelques mois d'expérience.
Julien s'apprête à répondre quand un couple s'avance vers lui, doucement. Il préfère les accueillir du regard, gardant son commentaire pour plus tard. L'homme soutient sa femme par le bras. Elle, les yeux cachés par des lunettes de soleil, le suit ; et bien que son visage soit dissimulé par un masque, on devine son large sourire. Julien a déjà servi Monsieur et Madame Serpain, et à chaque fois, il ne se lasse pas de les regarder. Ils lui font penser à ces oiseaux, les inséparables, si fidèles l'un à l'autre que même la mort ne les sépare pas. Encore vaillant et robuste, Monsieur Serpain force l'admiration du jeune homme par son attention discrète et tendre envers son épouse. À plus de 80 ans, Monsieur et Madame Serpain sont encore amoureux, et on peut voir dans leurs yeux cette flamme espiègle qui brille quand on s'aime à 20 ans. Le couple n'était pas venu depuis plusieurs semaines, se faisant porter leurs traitements à leur domicile. Julien a envie d'aller chercher le nouvel étudiant, Théo, pour lui montrer combien ces jolis instants rendent leur métier passionnant. Il suffit d'une seule rencontre comme celle-ci pour illuminer sa journée de travail.
- Bonjour Madame Serpain, bonjour Monsieur Serpain. Je suis heureux de vous voir. Vous avez décidé de venir en personne, aujourd'hui ?
La discussion s'engage entre le jeune pharmacien et le couple d'octogénaire. Au loin, dans le back-office, Nicole Bertin poursuit la visite, suivie de près par le jeune Théo.
(À suivre…)
La Pharmacie du Marché
Les petits bonheurs
Par
Publié le 03/07/2020
- 0 RéactionsCommenter
- Partager sur Facebook
Facebook
- Partager sur X
X
- Partager sur Linkedin
Linkedin
- Partager par mail
Mail
Article réservé aux abonnés
Épisode 69. À la veille des grandes vacances, une première série de congés estivaux débute, tandis que le reste de l'équipe accueille Théo, un étudiant de troisième année.
David Paitraud
- 0 RéactionsCommenter
- Partager sur Facebook
Facebook
- Partager sur X
X
- Partager sur Linkedin
Linkedin
- Partager par mail
Mail
Source : Le Quotidien du Pharmacien