Sandrine, la formatrice, demande aux participants de citer pêle-mêle les facteurs de risque de cancer. Tous se prêtent à ce jeu collectif, sauf Marion. Depuis hier soir, elle ressasse l'histoire que Christèle lui a racontée, comment sa collègue a décidé de prendre le jeune Théo sous son aile alors que la mère du garçon venait de mourir.
« C'était ma meilleure amie. Elle m'avait demandé d'être la marraine de Théo. Il avait 1 an quand elle a disparu. C'était lors d'une plongée, à Bali. Je m'en souviens encore. Elle et Benjamin, son compagnon, se faisaient une joie d'y aller. Ils étaient férus de plongée. Benjamin est revenu seul. Pendant plusieurs semaines, j'ai cru qu'on la retrouverait vivante, perdue quelque part sur une plage, mais vivante. Je voulais y croire. C'est à moi qu'elle avait confié Théo pendant son absence. Je n'avais pas encore d'enfants. Je me suis accrochée à ce petit, trop accrochée peut-être. À son retour de Bali, son père l'a repris. Logiquement. Et puis le temps a fini par nous éloigner. J'ai eu mes enfants… Benjamin s'est remis en couple, a refait sa vie. Et Théo a grandi. Et puis un jour, Benjamin m'a appelée. Il a proposé qu'on se revoie, que Théo fasse connaissance avec la meilleure amie de sa mère. J'étais en plein divorce à ce moment-là, mais j'ai accepté. J'ai retrouvé en Théo cette folie douce qui caractérisait sa maman. Le jour où tu as surpris notre conversation à la pharmacie, c'était le jour de l'anniversaire de sa maman. Il n'a aucun souvenir d'elle, mais cette date est devenue importante pour lui. Comme chaque année depuis qu'on s'est retrouvés, Benjamin m'a invitée. Comme chaque année, j'ai avancé des excuses bidon pour ne pas y aller. Et pour la première fois, Théo me l'a reproché. Quand je pense qu'il va être pharmacien ! Sa mère serait fière de lui ».
- Qu'est-ce qu'il fait froid ce matin. On se croirait en janvier alors que c'est bientôt Pâques, murmure discrètement à Marion son voisin de droite.
La pharmacienne sursaute ; en une fraction de seconde, cette déclaration banale sur le temps la ramène à la réalité. Elle est en formation, elle n'a rien écouté depuis près d'une demi-heure. Elle regarde l'homme qui vient de lui parler, lui adresse un sourire, puis fixe l'écran sur lequel est projetée une diapositive présentant les thérapies ciblées.
- Je m'appelle Benoît, poursuit le voisin de Marion qui manifestement préfère discuter avec elle plutôt que d'écouter Sandrine.
- Marion. Enchantée, répond poliment la pharmacienne, tout en signifiant à Benoît qu'elle veut écouter.
Ils sont neuf participants autour de la table ronde. L'ambiance de la formation rappelle à Marion les cours à la faculté. Il y a celle qui pose plein de questions, celui qui sort des blagues qui ne font rire que lui, celle qui ne dit rien et qui fait tout pour qu'on ne la remarque pas, celle qui gratte et gratte encore alors que tout est écrit sur les supports de formation.
- Est-ce que l'un ou l'une d'entre vous a déjà mené ou assisté à un entretien d'accompagnement ? Un bilan de médication ou un entretien AVK, par exemple ?
Marion baisse les yeux. « Un entretien non, mais une chimio oui », songe-t-elle.
(À suivre…)