HISTOIRE classique, un enfant sort de l’hôpital le samedi avec une ordonnance prescrivant un médicament à visée cardiaque à un dosage adapté à son âge et à son poids, mais non commercialisé par l’industrie pharmaceutique. Heureusement, jusqu’au 24 avril 2010, le pharmacien de son quartier pouvait le lui délivrer sous forme d’une préparation magistrale exécutée à l’officine, permettant ainsi l’instauration immédiate de son traitement. Depuis ce jour, date d’application d’un nouveau décret imposant au pharmacien des normes d’équipement ubuesques et non généralisables, soit ce dernier réalise cette préparation en totale illégalité, soit il refuse de la faire pour respecter la loi, mais l’enfant ne peut alors être soigné, et sa vie est mise en danger !
Sur le plan de la santé : des préparations de bains de bouche destinés spécifiquement aux cancéreux, aux traitements de pathologies infantiles pour lesquels aucun médicament industriel n’existe en dosage pédiatrique, les exemples sont nombreux, or cela faisait des décennies que de telles préparations magistrales étaient réalisées, sans engendrer aucune intoxication ni maladie professionnelle chez les préparateurs en pharmacie.
Incapables de faire la différence entre substances cytotoxiques mutagènes et lactose, les pouvoirs publics ont commis une grave erreur de dosage en sortant un décret du genre rouleau compresseur pour écraser les mouches et qui interdit depuis cette date à la quasi-totalité des 23 000 pharmacies françaises dont c’est le cœur de métier, de faire des préparations magistrales, service indispensable à la population. La nouvelle norme d’équipement des préparatoires officinaux, imposée par ce décret, est en effet à la fois totalement inadaptée, inutile dans 99.99 % des cas, et donc inacceptable puisque nuisible en termes de santé publique.
Sur le plan technique : la société spécialisée dans la fabrication d’une hotte spéciale (un des éléments exigés par cette nouvelle réglementation) ne peut assurer l’installation, avec l’environnement adapté, que d’un maximum de 600 officines par an, il faudrait donc 38 ans pour équiper la totalité des pharmacies françaises.
Sur le plan financier : avec un prix moyen actuel des préparations avoisinant les 14 €, qui inclut un coût moyen des matières premières et du récipient de l’ordre de 12 €, chaque officine mettrait environ 20 ans pour amortir les frais de la mise aux normes du préparatoire, et qui sont évalués à 15 000 €, tout en sachant qu’il est peu probable que le matériel ait une telle durée de vie, et qu’à ce tarif correspondant à ce qui est aujourd’hui facturé, la main-d’œuvre n’est même pas comptée.
Sur le plan de la formation professionnelle : l’État veut développer l’apprentissage, ce qui est aujourd’hui en vigueur pour la formation au diplôme de préparateur en pharmacie. Mais peut-on aujourd’hui sereinement envisager que les pharmaciens continuent à exercer leur fonction de maître d’apprentissage dans des locaux qu’ils sont incapables de rendre conformes à des normes stupides ? N’auront-ils que la faculté de choisir entre illégalité et refus de formation des jeunes ?
Sur le plan pratique : proposer au pharmacien, pour contourner le problème, de faire exécuter ses préparations magistrales par une autre officine que la sienne et qui se serait équipée pour se spécialiser dans cette activité à grande échelle, c’est faire abstraction de la notion d’urgence. Il suffit de prendre l’exemple des préparations pédiatriques de Tamiflu, à administrer au plus tôt dans un contexte d’épidémie grippale, et qui est manifestement incompatible avec un délai d’acheminement par voie postale, sans compter sur la procédure qu’il faudrait mettre en place pour obtenir une exécution urgente les dimanches et jours fériés… On est en pleine utopie !
Ce qui a été ainsi décrété pour la pharmacie, en complète ignorance des réalités du terrain, relève de la même ineptie que de vouloir imposer les normes prudentielles appliquées aux usines « Seveso » à tout particulier qui voudrait repeindre la porte de son appartement, ou encore à imposer la présence d’un camion de pompier devant tout débit de tabac sous prétexte que des briquets y sont souvent allumés. Si l’on veut être logique jusqu’au bout, l’on nous imposera bientôt de ne délivrer (sur prescription) les flacons d’éther qu’accompagnés d’un masque à gaz, dont le port devrait par ailleurs être imposé pour avoir le droit de faire son plein d’essence, mais je note que l’État continue de laisser les agents de police s’intoxiquer aux vapeurs de carburant dans tous les carrefours où ils règlent la circulation, sans pondre de décret leur interdisant cette activité… « fumante » puisque « taxogène ».
Le ridicule n’ayant pas de limite, ce décret toxique prévoit même que les pharmaciens titulaires des officines auraient malgré tout le droit d’effectuer personnellement les préparations interdites à leurs préparateurs en l’absence des équipements imposés par cette nouvelle législation. Les pharmaciens seraient-ils plus résistants, ou n’aurait-on que faire de leur santé ? Notez bien que si le préparateur n’a plus le droit de conditionner des paquets d’acide borique, les patients conserveront le droit de les ouvrir et de respirer à pleins poumons cette poudre thérapeutique.
Bien entendu, les pouvoirs publics, atteints de surdité, ont été largement informés de cette aberration, mais pour éviter que les préparateurs ne défilent un jour dans la rue, sans doute l’État a-t-il choisi, par ce décret, de simplement faire en sorte que la profession n’en forme plus !
Plus que certaines substances thérapeutiques, les textes législatifs ne seraient-ils pas parfois dangereux pour la santé publique ? Leur préparation extemporanée dans de sombres officines ou préparatoires disposant d’un mauvais éclairage, en serait-elle la cause ? Faut-il incriminer la déformation, la désinformation, l’absence de formation des « préparateurs » de ces lois ? À moins qu’il ne s’agisse simplement que d’une erreur de dosage pour qui a l’habitude de ne pas y aller avec le dos de la cuiller, mais en attendant, la pilule est amère !
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