« Lorsque le patient m’a présenté son ordonnance d’Ozempic 1 mg, à la posologie d'une injection par semaine, plusieurs éléments m'ont interpellée », se souvient Morgane Le Du, pharmacienne à la pharmacie Lafayette Colombia de Rennes. Sur la prescription établie par un médecin généraliste spécialisé en nutrition, ce dernier avait pris le soin d'ajouter la mention « prescription d’Ozempic car intolérance à la metformine ». « Le patient n’avait pas d’ALD pour le diabète ; il m'a confirmé ne pas être diabétique et ne jamais avoir pris de metformine. En revanche, il prenait Ozempic depuis plusieurs mois, pour perdre du poids. »
Déjà largement répandu à travers le monde, notamment en Australie et aux États-Unis, l’usage détourné de l’antidiabétique Ozempic (sémaglutide) à des fins amaigrissantes gagne peu à peu la France, même s'il semble encore confidentiel dans l'Hexagone. « À ce stade, les ventes d'Ozempic augmentent de façon progressive depuis sa commercialisation mi 2019. Les courbes sont cohérentes avec une mise sur le marché d'un nouveau médicament. Il n'existe pas de pic particulier ou de hausse brutale ces derniers mois de la consommation en France ni de variations saisonnières pouvant suggérer une utilisation hors AMM pour amaigrissement », commente l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Pour autant, les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) sont sur le qui-vive et appellent les pharmaciens, à l'instar de Morgane Le Du, à déclarer tout usage ou suspicion d'usage hors AMM du sémaglutide ou des autres analogues du GLP-1 (Glucagon-Like Peptide 1) (lire interview).
Un intérêt démontré sur la perte de poids
Selon son autorisation de mise sur le marché (AMM), Ozempic est indiqué uniquement dans le traitement du diabète de type 2, en seconde intention, et son périmètre de remboursement est limité à cette indication. Outre la stimulation sur la sécrétion d'insuline en réponse à l’hyperglycémie, le sémaglutide et les autres médicaments de la classe des aGLP-1 (également appelés incrétinomimétiques) présentent un effet satiétogène par ralentissement de la vidange gastrique. « C’est cet effet qui est recherché en cas de surcharge pondérale. Chez les patients non diabétiques obèses, les analogues du GLP-1 ont montré une perte moyenne de 6 à 15 % de poids corporel à un an », explique le Pr Jean-Luc Faillie, responsable du CRPV de Montpellier auquel est confié le suivi national de pharmacovigilance d'Ozempic. Une spécialité à base de liraglutide (Saxenda) est d'ailleurs commercialisée dans l'indication obésité. Une autre spécialité dénommée Wegovy (sémaglutide), déjà commercialisée outre-Atlantique, est disponible en accès précoce pour les patients obèses avec comorbidités.
Les influenceurs, des ambassadeurs embarrassants
Cette propriété des aGLP-1 aurait dû rester dans le cercle médical, le temps de disposer d'études plus approfondies afin de sécuriser l'utilisation et le cadre de prise en charge dans l'indication surpoids et obésité. Mais les influenceurs et certaines célébrités telles Ellon Musk, le très médiatique fondateur de Tesla et Space-X, en ont décidé autrement. Depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux, c’est l’escalade des qualificatifs et des vidéos vantant et montrant l'effet d'Ozempic sur la perte de poids : « fantastique, magique, miraculeux… » De vrais VRP du sémaglutide dont NovoNordisk se passerait bien. « NovoNordisk n'encourage ni ne promeut l'utilisation de ses médicaments en dehors des indications pour lesquelles ils sont homologués », insiste le laboratoire.
Perdre du poids à tout prix.
Ce phénomène révèle une société où l'illusion, le spectaculaire et l'apparence sont les maîtres-mots. Pour les influenceurs, seule la perte de poids compte. Peu importe les risques associés ou l'intérêt à long terme, ils balayent toute mise en garde par un « the safety profile is amazing » (le profil de sécurité est incroyable) si convaincant qu'on a envie de les croire. Sauf qu'un médicament sans effet indésirable, ça n'existe pas. Les aGLP-1 n'échappent pas à cette règle, d'où l'importance d'une utilisation médicalement encadrée.
Très fréquents, les troubles digestifs se traduisent par des nausées chez 4 patients sur 10 et des vomissements pour 1/4 des patients. Des effets indésirables plus graves sont également rapportés. « Ces effets généralement dose-dépendants pourraient être plus fréquents lors de l’utilisation des aGLP-1 dans l’obésité car les doses recommandées y sont plus élevées (de +20 % à +66 %) que pour le diabète de type 2 », souligne Jean-Luc Faillie. Autre donnée à prendre en compte, le ralentissement de la vidange gastrique observé avec les aGLP-1 peut perturber l'absorption des médicaments pris par voie orale. Enfin, et ce n'est pas négligeable, « les pertes pondérales observées avec les aGLP-1, dont le sémaglutide, sont transitoires, avec une reprise de poids à l’arrêt du traitement », note le Pr Jean-Luc Faillie.
La guerre contre les kilos, véritable serpent de mer
À ce jour, on ne dispose pas de données sur le profil de tolérance à long terme des incrétinomimétiques dans le traitement de l’obésité et la balance bénéfices/risques ne semble pas en faveur de leur utilisation chez toute personne en excès pondéral. D'où la prudence des autorités de santé qui préfèrent introduire pas à pas ces médicaments dans la stratégie thérapeutique du surpoids et de l'obésité. Sage démarche empreinte de l'expérience des dernières décennies.
« L’histoire de la pharmacovigilance montre que les médicaments amaigrissants commercialisés en France ont été systématiquement associés à des problèmes liés à leur profil de risque (fenfluramine, dexfenfluramine, benfluorex, rimonabant…) », rappelle le responsable du CRPV de Montpellier. Les aGLP-1 pourraient ne pas avoir ce tragique destin, à condition de ne pas brûler les étapes. « Le traitement de la perte de poids a toujours été comme le sparadrap du capitaine Haddock (« L’affaire Tournesol ») pour l’industrie pharmaceutique : un sujet embarrassant, qu'on se passe de main en main, mais dont on n’arrive jamais à se débarrasser réellement », observe Jean-Michel Mrozovski, président du Comité pour la valorisation de l’acte officinal (CVAO). Pour le Pr Bergmann, ancien chef de service de médecine interne à Lariboisière et professeur émérite de thérapeutique à l’université de médecine de Paris Cité, ce phénomène traduit une société en quête d'illusion : « C’est difficile de faire un régime et surtout, de s’y astreindre durablement. Dans notre monde de facilité, on préfère troquer l’effort par un médicament : une petite piqûre et c'est fait. Mais cette vision simpliste, cette obsession du morphotype parfait exposent à une mise en danger réelle. L'utilisation non contrôlée des aGLP-1 s'ajoute à la longue liste de tendances délirantes telles les purges, les jeûnes… »
Un détournement de l’AMM doublé d'une fraude à la Sécurité sociale
En première ligne face à ce phénomène, les pharmaciens d'officine sont appelés à la vigilance pour sécuriser l'accès des patients sous sémaglutide à leur traitement, dans un contexte de fortes tensions. « Il a été demandé aux laboratoires commercialisant des analogues de GLP1 de réaliser un suivi trimestriel des données à leur disposition, incluant les données de vente, les suivis des réseaux sociaux, les nouvelles données de la littérature et les cas rapportés de mésusage avec ou sans effet indésirable », indique l’ANSM qui attend le premier rapport au premier trimestre 2023.
Pour le moment, aucune rupture n'est signalée dans l'Hexagone, « mais les patients nous font part de leur inquiétude », témoigne Jean-François Thébaud, vice-président de la Fédération française de diabétiques. Pour limiter les tensions, le laboratoire assure que ses sites de production fonctionnent 24 heures sur 24, sept jours sur sept partout dans le monde : « En 2022, nous avons investi environ 1,6 milliard de dollars pour augmenter notre capacité de production. »
Autre mission pour les pharmaciens : faire obstacle à la fraude à l'assurance-maladie à laquelle expose l'utilisation détournée d’Ozempic. « Le pharmacien est tout à fait habilité à demander au patient dans quel cadre le médicament lui est prescrit, en cas de doute. Si le patient n'est pas diabétique et que le médecin n'a pas précisé qu'il faisait une prescription hors AMM, le pharmacien ne doit pas délivrer. C'est une question de santé publique », rappelle Éric Fouassier, professeur et directeur du Groupe de recherche et d'accueil en droit et économie de la santé (GRADES) à l'université Paris-Saclay.
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