Elles sont nombreuses les femmes aux XVIIe et XVIIIe siècles à s’être réunies en communauté pour aider les pauvres manants et… racheter leurs âmes. Pieuses et aristocrates, elles se sont souvent adressées aux Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul pour accomplir leur sainte mission, celles-là mêmes qui étaient connues pour distribuer le bouillon aux nécessiteux dans les rues.
À Montpellier, ce sont surtout les épisodes de peste qui ont décidé de la création d’une apothicairerie que l’on pourrait qualifier d’urgentiste. La Pharmacie de l’Œuvre de la Miséricorde a vu le jour en 1715, lorsqu’Anne de Conty d’Argencourt, maîtresse de Louis XIV et fille de Pierre d’Argencourt, ingénieur montpelliérain protestant, fondateur des remparts de la place forte de la ville, décide de léguer sa demeure aux sœurs, après s’être convertie au catholicisme. Restée dans son pur jus XVIIIe siècle, la salle qui s’ouvre devant nos yeux - restaurée dans les années 2000 - aurait probablement été refaite vers 1740. De charmantes étagères d’un bleu pâle plutôt coquet préservent toujours en bonne place 52 pots canons, 69 chevrettes, ainsi que 7 mortiers, quelques piluliers et deux très beaux alambics. On remarquera les délicates encoignures des étagères de bois, donnant à l’ensemble un cachet très féminin. Environ 250 Dames de la Miséricorde se sont ici occupé du soin des malades aux côtés d’une infirmerie où officiaient six médecins et six chirurgiens.
La manufacture de Jacques Ollivier
Sur plusieurs pots en faïence bleue et blanche, on distingue invariablement le même motif d’une tête coiffée d’une couronne stylisée. Il s’agit de la marque de fabrique de la manufacture de Jacques Ollivier, célèbre manufacture royale connue pour son savoir-faire en pots à pharmacie, qui employait alors des centaines d’ouvriers et une dizaine de décorateurs d’excellence afin de maintenir un rythme de production quasi-industriel. La manufacture a essaimé ses faïences et ses céramiques dans toute la région d’Occitanie et même au-delà.
La série des chevrettes est particulièrement charmante. Sur leurs ventres bombés, les sirops se déclinent : S. de Digitale, Sirop de Chicorée, Sirop d’asperge, S. de Quina, S. d’Epicacuanha, S. de Pavots, S. de Belladone, Sirop de Mures… Le sirop de pied de chat, le plus amusant et le plus singulier, faisant référence aux fleurs de cette plante, en forme de coussinets de chat, était, lui, réputé être astringent, propre à soulager les diarrhées, les angines et les bronchites, ainsi que les douleurs rhumatismales. Dans une belle bouteille de faïence ventripotente, on aperçoit aussi un remède du cru, l’Eau de Milice (comprendre « de Mélisse »). Tandis que se démarque la fameuse thériaque de Montpellier, bénéficiant d’un décor aux couleurs différentes, rehaussé de jaune et de vert, ce qui ne manque pas d’attirer le regard.
Belle continuité historique
Lorsqu’arrive la Révolution et la dissolution des congrégations religieuses, les Sœurs de la Miséricorde n’arrivent à subsister qu’en faisant le serment d’agir comme « sœurs citoyennes » C’est ainsi que leur Œuvre est renommée Bureau de bienfaisance en 1796 sous le Directoire, période charnière où l’administration publique décide de prendre à bras-le-corps la question de l’assistance sociale. Le Bureau de bienfaisance, auquel appartient désormais l’apothicairerie sera augmenté d’une salle supplémentaire au milieu du XIXe siècle, suite au rachat par la ville de l’Hôtel de la Monnaie. Celle-ci présente aujourd’hui des échantillons de pots à pharmacie et une belle série de flacons en verre soufflé et en verre moulé. Le lieu deviendra le Bureau d’action sociale en 1950 puis le Centre communal d’Action sociale dans les années 1980.
Une magnifique continuité historique pour une apothicairerie qui voit son activité perdurer puisque les dernières sœurs ne partent qu’en 2001. Dans les dernières années, elles géraient la maison de retraite attenante. De l’époque baroque jusqu’à notre société moderne, le lieu aura donc fonctionné sans discontinuer. Modeste officine préservée qui a vu défiler l’ensemble des tourments des siècles et a été le témoin privilégié de l’évolution de l’assistance publique, dans ce qu’elle avait de plus religieux sous la Royauté jusqu’à ses développements sociaux ultérieurs.
Aujourd’hui, on voit toujours, sur le mur du fond, deux petites niches fermées par une porte à loquet. « Qu’est-ce ? » demande-t-on à la personne en charge de garder le lieu. « Ce sont des guichets. Les gens venaient ici récupérer des billets d’indigence pour ensuite se rendre chez un médecin assermenté. Ainsi, d’un côté, on prenait la commande, tandis que de l’autre côté, on récupérait les médicaments préparés par le pharmacien. Les gens faisaient la queue derrière ce mur. » Une fois que l’on sait cela, ce lieu figé s’anime d’un bouillonnant brouhaha. On imagine l’activité que cela devait être. Certains Montpelliérains se souviennent encore d’être entrés dans cette pharmacie, tandis que les Sœurs dormaient au-dessus.
Il ne reste plus qu’à sortir de ce lieu secret, partir en direction du magnifique jardin botanique de la ville et lever la tête vers la Tour des Pins, une des seules tours encore debout qui constituait le mur d’enceinte de la ville. Les Protestants s’y réfugièrent, sous la Révolution, on en fit une prison puis on la dédia aux Archives de la ville. Aujourd’hui, elle est le siège d’associations culturelles. À son sommet, il faut surtout regarder deux arbres qui y auraient poussé au Moyen Âge. À leur sujet, l’astrologue, médecin et apothicaire Nostradamus aurait prédit que s’ils venaient à mourir, la ville disparaîtrait. Ils ont péri plusieurs fois. Montpellier est toujours là !
Pharmacie de l’œuvre de la Miséricorde, 1, rue de la Monnaie, Montpellier. Du mardi au dimanche (11 heures-13 heures, 14 heures-19 heures de mi-juin à mi-septembre – 10 heures-13 heures, 14 heures-18 heures de mi-septembre à mi-juin). Montpellier.fr