Antoine Parmentier (1737-1813) reste le plus grand pharmacien de son temps : proche de Napoléon sans être à son service direct, il poursuit sous l’Empire ses recherches agronomiques et alimentaires, tout en assurant ses missions d’inspecteur général du Service de santé de la Grande Armée.
Mais c’est son confrère et ami Nicolas Deyeux (1745-1837) qui fut choisi pour devenir « premier pharmacien de l’Empereur », chargé à ce titre d’organiser tout le service pharmaceutique de la Maison. Professeur de chimie médicale au Collège de pharmacie puis à l’École de santé de Paris, il possédait en outre une pharmacie située rue du Four. Savant renommé et, dit-on, grand libertin, Deyeux accepta la charge que lui proposait l’Empereur à une condition : d’une nature craintive, il ne souhaitait pas l’accompagner lors de ses campagnes militaires. Sa requête fut acceptée au vu des autres mérites professionnels du pharmacien, qui se cantonna donc à des tâches civiles, essentiellement aux Tuileries et dans les autres palais impériaux. Deyeux présidait notamment le jury d’examens de l’École de pharmacie de Paris, et assurait l’inspection des officines du département de la Seine. Napoléon étant prêt à tout pour avoir enfin un héritier, il chargea Corvisart et Deyeux de trouver un remède à la stérilité de l’Impératrice Joséphine : le pharmacien alla même jusqu’à lui confectionner des cachets à base de mie de pain dont il tint bien évidemment la composition secrète…
Pendant les guerres, Napoléon était suivi par une « grande ambulance » réunissant plusieurs médecins et un pharmacien. Cette fonction échut à plusieurs reprises à l’officinal Charles Cadet de Gassicourt (1769-1821), « bâtard royal » de Louis XV et propriétaire d’une pharmacie rue Saint-Honoré. Ce scientifique réputé fut aussi le véritable précurseur de l’hygiène publique à Paris. Il publia de nombreux ouvrages, allant d’un « Formulaire Magistral » à des comédies et des chansons légères, mais aussi des souvenirs de guerre, notamment sur la campagne de 1809 et les batailles de Wagram et d’Essling. C’est là que le Maréchal Lannes perdit ses deux jambes, emportées par un boulet. Il mourut quelques jours plus tard, et le pharmacien fut chargé par Napoléon d’embaumer son corps avant de le faire rapatrier en France : la chaleur était intense et il organisa le transport de la dépouille dans un tonneau. Il passera ensuite quelques semaines plus paisibles avec l’Empereur installé à Vienne, au château de Schönbrunn. Trois autres pharmaciens, eux aussi à la fois officinaux et enseignants, accompagnèrent l’Empereur durant plusieurs campagnes : Jacques Clarion, Pierre-Charles Rouyer et Edme Bouillon-Lagrange. Ce dernier abandonnera toutefois la pharmacie en 1805 et deviendra le médecin personnel de Joséphine.
Durant l’invasion de la France en 1814 ou, selon d’autres auteurs, au lendemain de Waterloo, Napoléon demanda à Cadet de Gassicourt de lui préparer un poison pour mettre fin à ses jours, qu’il absorba en plein désespoir. Mais à peine sa préparation avalée, il se ravisa et fut sauvé par son pharmacien, qui était le seul à connaître l’antidote capable d’enrayer l’intoxication.
Cadet de Gassicourt, comme Deyeux avec lequel il entra d’ailleurs en conflit au sujet de l’organisation de la pharmacie principale aux Tuileries, continua son activité après la chute de l’Empire. Il fut l’un des fondateurs du « Bulletin de Pharmacie », puis de la Société de pharmacie. Mais Deyeux vécut bien plus longtemps que lui et donnait encore des cours à plus de 80 ans ; il ne se retira qu’en 1830 dans sa maison de Passy, alors un village des environs de Paris. Tous les portraits des pharmaciens de l’Empereur trônent, de nos jours, dans la salle des Actes de la faculté de pharmacie de Paris.