Depuis que les pharmaciens d’officine sont habilités à vacciner contre la grippe, puis contre le Covid-19, l’assurance responsabilité civile professionnelle (RCP), obligatoire depuis 2002, les couvre aussi en cas d’erreur ou d’accident lié à ces vaccinations, sans aucune modification de contrat. L’allongement du nombre de vaccinations qui peuvent désormais être administrées en pharmacie (à partir de 11 ans) a cependant rendu nécessaire un arrêté du 8 août 2023 précisant ou fixant le cahier des charges relatif aux conditions techniques à respecter (local adapté avec chaise ou fauteuil, par exemple) et aux objectifs pédagogiques de la formation à suivre pour exercer l’activité de vaccination : 10 h 30 pour le module « prescription de vaccins » en présentiel ou e-learning, et 7 heures pour le module « administration de vaccins » en présentiel. À la fin de cette formation, validée par un organisme ou une structure de formation agréée, le pharmacien doit être capable, notamment, de vérifier les critères d’éligibilité, de recueillir le consentement des patients, de respecter les modalités de surveillance immédiate et de donner des conseils post-injection. Il doit aussi déclarer ces activités auprès de l’Ordre dont il dépend.
Plus de risques ?
Jusqu’ici, personne n’a rapporté de hausse anormale des incidents ou des litiges liés aux vaccinations grippe et Covid-19 réalisées en officine. Pas plus d’ailleurs qu’avec les tests nasopharyngés, également réalisés en grand nombre. Il n’y avait donc pas lieu de modifier les contrats d’assurance RCP des pharmaciens ni d’augmenter les tarifs. Mais la multiplication des nouvelles missions confiées aux pharmaciens, venues s’ajouter aux vaccinations - récemment autorisées en dehors de l’officine - et aux tests antigéniques, va-t-elle inciter les assureurs à revoir la question ? Réalisation de TROD cystite et angine (dès l’âge de 3 ans), suivis de la prescription d’antibiotiques adaptés ; entretiens d’accompagnement des femmes enceintes ; entretiens pharmaceutiques en cas de maladie chronique ; PRADO (service de retour à domicile après hospitalisation) ; dispensation des médicaments à domicile pour les patients isolés et sans aidant… Ces tâches supplémentaires et nouvelles ne vont-elles pas augmenter le risque d’oublis, de confusions, voire de fautes ? Débordés et en manque de personnel, les pharmaciens ne risquent-ils pas de faire des maladresses lors de la réalisation d’un acte technique ? De faire des erreurs de diagnostic et de prescription ? De ne pas informer suffisamment les patients ? Et, par voie de conséquence, de voir modifier leur assurance RCP ?
Ou faux problème ?
« Non », répond avec force Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. « Les vaccinations Covid-19 ont été assurées à 80 % par les pharmaciens de ville et n’y a pas eu de problèmes particuliers. Idem avec les tests antigéniques. Ce sera pareil avec les autres vaccinations et les autres missions. Il n’y a aucune raison que les assureurs revoient leurs tarifications. C’est un faux problème. Le pharmacien doit simplement faire les formations qui s’imposent et vérifier qu’il est bien couvert. Certains contrats RCP assurent globalement toutes les activités et tous les actes du pharmacien, pour d’autres c'est mission par mission. Il faut donc faire attention au type de contrat et ne pas hésiter à poser des questions à son assureur, par exemple pour savoir si la livraison de médicaments à domicile est couverte dans les contrats globaux. C’est tout. »
De fait, les pharmaciens de ville ne sont pas très inquiets, même si « statistiquement, les nouvelles missions pourraient entraîner plus d’incidents », comme le dit Corinne Dubreuil, pharmacienne à Versailles. Elle pense en particulier au TROD cystite, avec le risque de passer à côté d’une pyélonéphrite, mais estime que « les pharmaciens n'assureront que les missions avec lesquelles ils se sentent parfaitement à l’aise » et qu’il n’y a donc rien à craindre. Pour sa part, Emmanuelle Vernis, titulaire à Saint-Martin-de Ré, estime que les pharmaciens ont fait leurs preuves pendant le Covid en dépit des difficultés et qu’ils doivent prendre le train des nouvelles missions sans avoir peur. « Nous sommes en pleine conversion et notre avenir est en jeu. Il faut y aller et montrer que nous en sommes capables. »
Pas de mauvaises surprises
Les assureurs, eux, se montrent plus prudents même s’ils s’inquiètent davantage des répercussions médico-légales de la création, dans la loi Rist, d’un accès direct aux soins des infirmiers en pratique avancée (IPA). D’autres assureurs comme Axa préfèrent ne pas répondre, ce qui peut susciter des interrogations…
Les responsabilités étant accrues, les risques potentiels seront plus élevés… Du moins en ce qui concerne l’antibiothérapie
Nicolas Gombault, directeur général délégué du groupe MACSF
La MACSF se montre, quant à elle, sereine. « À partir du moment où les nouvelles compétences dévolues aux pharmaciens, en particulier la délivrance sans ordonnance d’antibiotiques après la réalisation d’un TROD cystite ou angine, sont inscrites au PLFSS et où des formations spécifiques répondent aux exigences de sécurité, nous les garantirons dans nos contrats, explique Nicolas Gombault, directeur général délégué du groupe. Et comme nous mutualisons les risques, il n’y aura pas de mauvaises surprises quant aux tarifications. Nous n’exigerons d’ailleurs pas des pharmaciens de déclarer s’ils font des TROD et prescrivent des antibiotiques. » Un message rassurant, assorti cependant d’un bémol. « Les responsabilités étant accrues, les risques potentiels seront plus élevés… Du moins en ce qui concerne l’antibiothérapie pour laquelle nous avons fait un constat chez les médecins généralistes : si le nombre d’erreurs de prescription et de dosage est limité, leurs conséquences sont extrêmement graves. Nous pouvons donc nous attendre au même risque avec les pharmaciens… Pour les tests et les vaccins, il est encore trop tôt pour évaluer une éventuelle augmentation de la sinistralité, mais nous suivons ça de près. Pour le moment, ces nouvelles activités sont couvertes dans le contrat global, quel que soit leur nombre et sans déclaration préalable. »
Suivi attentif de la sinistralité
Réaction similaire à La Médicale - dont la fusion-absorption au sein de Generali France sera effective le 31 décembre. « Pour les nouvelles vaccinations, nous ne sommes pas inquiets car les pharmaciens vaccinent déjà et reçoivent une formation complémentaire. En revanche, pour les TROD cystite et angine avec prescription d’antibiotiques, nous allons regarder attentivement si les sinistres augmentent - comme le pensent les médecins, hostiles à cette nouvelle mission des pharmaciens - de façon à ajuster, au besoin, nos contrats. Aujourd’hui, nous n’en savons rien, mais ces activités sont incluses dans le contrat RCP global actuel, même si toutes ne sont pas listées », répond Patricia Delaveau, de la direction des offres.
Dès lors que ces actes sont autorisés, ils sont couverts par la RCP dans les mêmes conditions que les erreurs de délivrance
À partir du moment où ces actes sont autorisés, ils sont couverts par la RCP dans les mêmes conditions que les erreurs de délivrance, ajoute Elsa Gozlan, juriste à La Médicale. « En cas de sinistre lié à la vaccination ou à un TROD, nous vérifierons, comme pour les autres activités, si le pharmacien a suivi la formation ad hoc, s’il a respecté les obligations techniques (local adapté, point d’eau, information du patient…), s’il a, tout comme le médecin, interrogé préalablement le patient sur ses pathologies et s’il l’a noté par écrit, de même que la posologie du médicament prescrit. Mais je pense qu’il nous faudra le repréciser aux pharmaciens pour qu’ils soient bien protégés. De manière plus générale, et sans que cela ait de rapport avec les tarifications, nous devrons réfléchir sur toutes les activités en officine, y compris de prévention, et sur les formations. »
Exemples de litiges
Le décès en octobre dernier d’un adolescent victime d’une chute, dans son collège, due à un malaise après l’injection d’un vaccin anti-HPV, aurait pu se produire dans une officine. Une enquête aurait alors vérifié si le temps de repos d’un quart d’heure requis après chaque vaccination avait été respecté. Et si ça n’avait pas été le cas, elle aurait conclu à une faute, couverte par la RCP…
Elsa Gozlan, juriste à La Médicale, donne trois autres exemples de litiges liés au vaccin anti-Covid-19 et aux tests, enregistrés par Generali France :
- Un patient décède 3 semaines après avoir reçu la 3e injection du vaccin Pfizer. Sa fille impute le décès au pharmacien, arguant que la 3e dose a été injectée trop tôt. « Dans les dossiers de sinistres liés à la vaccination Covid, c’est l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales) qui a vocation d’intervenir en cas d’indemnisation. Nous n’intervenons que pour les faits de défense », précise la juriste.
- Après un test antigénique, un patient rend le pharmacien responsable d’une déviation de la cloison nasale et d’une fracture du nez. L’ORL expert à qui le dossier a été soumis indique que le patient souffrait d’un état antérieur et qu’il n’y a donc pas de responsabilité du pharmacien.
- À la suite d’un test PCR réalisé en vue d’une intervention chirurgicale, un patient ressent un craquement au niveau du cartilage nasal, suivi d’un saignement abondant. Les experts concluent que la perforation du sinus est un aléa thérapeutique et excluent toute maladresse fautive du pharmacien.