Un avenant à la carrure d’une convention. C’est le constat établi d’emblée par les deux syndicats de la profession qui ont entamé avec l’assurance-maladie, le 19 décembre, les négociations portant sur l’économie officinale. Un avant-goût avait été donné par la lettre de cadrage du ministre de la Santé qui balayait à la fois, la prévention, les nouveaux accompagnements, en particulier dans le sevrage tabagique, pour les patients chroniques et les femmes enceintes ou encore celui des patients sous opioïdes, la pertinence de la délivrance, la lutte contre la fraude, l’amélioration du taux de pénétration des biosimilaires ou encore le soutien aux officines en difficulté dans les territoires fragiles.
Timing et tempo
Le menu n’est pas pour déplaire ni à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), ni à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), les deux syndicats représentatifs de la profession. Car ces visions qu’ont les autorités sanitaires de l’évolution du rôle du pharmacien correspondent aux ambitions que la profession nourrit pour son avenir. Le calendrier des mois de janvier et de février sera donc à la hauteur de ces défis. Pas moins de sept groupes de travail (voir ci-dessous) seront dévolus à autant de séances de négociations qui contribueront in fine à un texte censé garantir l’avenir économique du réseau officinal pour les quatre ans à venir.
Décorrélé de la crise sanitaire, négocié alors que l’économie officinale est confrontée à de nouveaux aléas, cet avenant économique tombe à pic. Le timing est doublement le bon, insiste Philippe Besset, qui se félicite que cette convention ne soit pas parasitée par les échéances électorales. « Contrairement aux précédentes conventions qui se trouvaient en porte à faux par rapport à l'élection présidentielle. Nous avions coutume de négocier une convention en fin de quinquennat, ce qui conduisait, ensuite, à une certaine frustration du pouvoir exécutif issu des urnes. » Libérées de ces considérations, les négociations n’en auront que plus de poids. De fait, les jalons, qui seront posés dans les semaines à venir, et les gages que donnera l'assurance-maladie, engageront toute la profession, puisqu’à chacune de ses missions devront correspondre les moyens permettant de les réaliser dans la durée. Un pari sur l’avenir auquel sont également sensibles les étudiants. « C’est notre futur exercice professionnel qui se joue à la table des négociations avec l’assurance-maladie », affirme Lysa Da Silva, présidente de l’ANEPF.
Pour l’heure, il n’est pas exagéré d’affirmer que les titulaires retiennent leur souffle. Car l’issue de ces négociations sera décisive sur une économie officinale à la peine. L’urgence se traduit non seulement dans la détérioration des bilans mais aussi dans un maillage qui se détend de mois en mois. Au cours des dix premiers mois de l’année écoulée, le réseau a subi 45 liquidations, 25 redressements et 15 sauvegardes. Contre respectivement, 34 liquidations, 10 redressements et 6 sauvegardes sur l’ensemble de l’année 2022. En novembre, le nombre de pharmacies en métropole est passé pour la première fois sous la barre symbolique des 20 000, à exactement 19 989 officines.
La guerre des chiffres
C’est dire si ce début d’année se révélera à la fois dense et décisif. Car alors que les finances de l’officine fléchissent sous le poids de l’inflation, de la hausse des charges et d’une masse salariale de plus en plus importante, il y a urgence à endiguer ces fermetures sèches qui mettent à mal la densité du réseau pharmaceutique, l’avenir de la profession et avec lui, l’accès aux soins. Un argument qui ne laisse pas insensibles gouvernement et assurance-maladie soucieux de préserver l’indépendance d’une profession dont il attend par ailleurs un rôle accru dans l’usage des produits de santé. La logique comptable prime cependant pour l’organisme payeur et son ministère de tutelle, qui répètent à l’envi avoir suffisamment payé leur écot lors des années Covid. Un argument qui est loin de faire mouche auprès de la profession qui estime avoir fourni une contrepartie en termes de santé publique, distribution de masques et de vaccins, vaccination et autres missions Covid à l’appui. « Nous avons conscience des contraintes économiques du pays. Mais l’assurance-maladie a-t-elle la même conscience des problèmes financiers du réseau officinal. Ne les sous estime-t-elle pas ? », s’inquiète Philippe Besset, président de la FSPF.
Le message de l’assurance-maladie passe d’autant moins auprès des responsables syndicaux que les chiffres annoncés sont loin de correspondre à la réalité. « L’assurance-maladie déclare qu’entre 2022 et 2023, 145 millions d’euros supplémentaires ont été accordés au réseau officinal pour la dispensation du médicament tandis que selon nos estimations, ce chiffre atteint à peine 7 millions d’euros », relève Philippe Besset. « Il faut absolument que nous puissions faire converger nos chiffres », insiste, de son côté, Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Auprès d’IQVIA, dont les données sont actuellement exploitées par les deux syndicats, d’autres analystes tels que le GERS et des experts-comptables vont être appelés à apporter leur contribution pour affiner ces calculs.
Tout juste, Thomas Fatôme, directeur général de l’assurance-maladie, concède-t-il « quelques écarts d’appréciation ». Pas sûr que, dans ces conditions, il soit réceptif aux estimations des syndicats qui chiffrent à un milliard d’euros les revalorisations nécessaires au réseau et à ses salariés. « L’assurance-maladie n’est pas gestionnaire des officines. Elle n’a pas vocation à entrer dans les négociations de branche, ni à être recruteur ! », a prévenu Thomas Fatôme, en écho aux demandes de prise en compte de l’inflation. C’est sans aucun doute l’un des principaux points d’incompréhension entre les partenaires de la négociation. Alors que syndicats s’attendent à ce que la prise en compte des missions du pharmacien justifie une revalorisation susceptible « de rattraper l’inflation », l’assurance-maladie estime qu’il n’est pas de son devoir premier « de compenser ». « Attention, il ne s’agit pas de cadeaux, tient à préciser Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, en retour, grâce à notre engagement, nous permettons à l’assurance-maladie de faire des économies substantielles, que ce soit grâce à la prévention, un meilleur usage des médicaments ou les biosimilaires… Il ne faut pas l’oublier. »
Revaloriser en priorité la dispensation
Pour autant, l’organisme payeur ne renie en rien les fondements mêmes de cette négociation. Car hormis cette guerre des chiffres, syndicats et assurance-maladie se retrouvent sur les contours qu’ils veulent donner à l’officine de demain. Ils se rejoignent également sur un point de méthode : il n’est pas question, pour l’heure, de créer de nouveaux honoraires mais bien de revaloriser les honoraires existants afin de consolider le cœur de métier du pharmacien qu’est la dispensation du médicament. C’est ainsi que la dynamique de la rémunération va se concentrer, en priorité, sur la délivrance d’antibiotiques après un test de dépistage. Ou sur des actions de prévention.
Ce rôle clé de l’officinal est salué par le directeur général de l’assurance-maladie qui a répété son attachement aux missions du pharmacien et au maillage officinal. Tout comme à un modèle et à un mode de gestion reposant sur un pharmacien propriétaire de son officine. « L’accès à la pharmacie doit être le plus facile possible pour nos assurés. Or il existe des territoires fragiles. » Le spectre de la financiarisation du secteur est donc repoussé résolument par l’assurance-maladie, tout comme par le gouvernement. Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé, n’a-t-il pas dans sa lettre de cadrage exprimé son inquiétude, se déclarant « particulièrement attentif » pour « préserver les principes d’autonomie et d’indépendance » de la pharmacie d’officine ?
L’enjeu de ce nouvel avenant sera donc double. Au-delà du nouveau souffle qu’il s’agira de redonner à l’entreprise officinale, c’est l’intégrité d’un réseau tel que nous le connaissons aujourd’hui qui devra être garantie pour les années à venir.