- À la radio, un coup ils disent La, un coup ils disent Le… Alors on dit quoi ?
En professeur de français consciencieuse, Madame Hasburger disserte depuis plusieurs minutes sur le genre de la maladie Covid. En face d'elle, Christèle ne sait pas quoi répondre. À vrai dire, cette conversation forcée (qui s'apparente plus à un monologue de l'enseignante) n'intéresse pas du tout la préparatrice.
- Je vous délivre la totalité de l'ordonnance Madame Hasburger ?, tente Christèle pour changer de sujet.
- Eh bien non. De toute façon, l'homéopathie n'est plus remboursée ? C'est une honte…
La préparatrice s'en veut de ne pas avoir anticipé ce nouveau débat. Pire, c'est elle qui l'a initié en voulant se débarrasser d'un sujet sur lequel elle n'a strictement aucun avis.
- Par contre, le tramadol, vous mettez tout. Je suis à trois par jour maintenant vous savez…
- Mais je ne peux pas vous en délivrer plus de deux boîtes ; la prescription ne mentionne que deux comprimés par jour. Comment se fait-il que vous ayez augmenté les doses ?
- J'ai mal, que voulez-vous. Et ce truc me soulage à peine d'ailleurs.
- Il faudrait refaire le point avec le prescripteur. Ce médicament, le tramadol, ne doit pas être pris à la légère. Il a de nombreux effets secondaires, et…
- Oui, je verrai cela plus tard. Donnez-moi tout ce que vous pouvez, sauf l'homéo, répond la patiente enseignante qui n'apprécie pas la contradiction.
Dans le back-office, Christèle croise Julien.
- Le problème avec le robot, c'est qu'on ne peut pas s'éclipser une minute pour échapper aux patients pénibles…
Le jeune pharmacien tourne la tête vers les comptoirs et comprend :
- Ah, Madame Hasburger. Et pourquoi tu es ici alors ?
- Plus de macrogol dans le robot. Merci Lou d'être à la bourre dans la réception des commandes, lance Christèle à la jeune apprentie qui arrive avec le téléphone. D'ailleurs, il faudra la surveiller parce qu'elle fait n'importe quoi avec son tramadol…
- Julien ? C'est le distributeur pour les vaccins de l'Ehpad. Livraison demain, dit Lou.
- Demain ? Non, c'était prévu lundi. Demain c'est samedi, donc certainement pas. Passe-les moi… Merci. Allô ? Bonjour, Docteur Frémoi. La livraison est prévue lundi, pas demain. Comment ? Mais non, ce n'est pas ce qui était prévu. Nous avons reçu un mail en janvier, indiquant que la livraison des deuxièmes doses serait lundi. De qui ? Mais de l'ARS, en accord avec Santé publique France.
Le jeune adjoint lève les yeux au ciel. Près de Lou, J-C et Jean-Paul se sont approchés pour écouter.
- Demain, ce n'est pas possible. L'EHPAD a organisé son planning de vaccination à partir d'une livraison lundi. Je vous rappelle qu'il faut utiliser le vaccin dans les 5 jours après… Comment ça "pas avec le vaccin Moderna" ? Nous avons débuté le cycle de vaccination avec le Comirnaty, donc c'est celui-là que nous devons recevoir à nouveau. Bon, écoutez, il y a un gros problème. J'appelle l'ARS pour mettre au clair tout ça.
Julien pose le téléphone, et explique :
- Pour le distributeur, la livraison est prévue demain, avec le vaccin Moderna.
- Ah ça, je savais que ça nous tomberait dessus un jour, réplique J-C le titulaire.
- Un vrai binz, un vrai binz !, ajoute Jean-Paul.
- Un quoi ?, demande Lou, naïve.
Les pharmaciens éclatent de rire.
- Remarque, ça fait bien vingt ans que je n'ai pas entendu cette expression !, s'amuse J-C.
(À suivre…)