- Madame Sireau, comment allez-vous ? Ça me fait plaisir de vous revoir.
La nonagénaire regarde Juliette et, derrière son masque, lui renvoie un large sourire.
- Moi aussi. Cette période a été très étrange, mais il faut bien ressortir de chez soi. Ne serait-ce que pour venir chercher ses médicaments.
Ancienne institutrice, Andrée Sireau choisit avec soin les mots qu'elle emploie, et ne parle jamais pour ne rien dire.
- Vous avez un très beau masque, Madame Sireau, remarque Juliette avant de se plonger dans l'ordonnance. Vous l'avez fait vous-même ?
- Nous en avons fait 252 sur ce modèle, chère mademoiselle. Le club de couture a été très performant ; depuis cinq semaines maintenant, nous nous employons à fournir 10 masques par semaine et par couturière…
Malgré l'arthrose dans vos doigts, c'est encore plus méritant…
La vieille dame balaie la remarque d'un geste de la main, pour signifier que cela n'avait pas d'importance dans un contexte si particulier.
- Vous êtes allée voir le médecin cette semaine, si je comprends bien. Vous avez eu raison…
Interrompant subitement la conversation, la jeune adjointe regarde derrière sa patiente, qui elle-même se retourne pour suivre le regard de la pharmacienne. À tous les comptoirs, les autres clients font de même.
À l'entrée de la pharmacie, un jeune homme est assis, la tête entre les mains. Julien est à côté de lui et lui parle :
- Monsieur, vous m'entendez ? Monsieur ?
L'homme relève la tête et fixe Julien. Les yeux rouges, il tente d'articuler mais ses paroles sont incompréhensibles, étouffées par une respiration de plus en forcée.
- Je vais vous retirer votre masque Monsieur. Ne vous inquiétez pas, on s'occupe de vous, dit Julien au patient le plus calmement possible, avant d'interpeller ses collègues. Jean-Paul, tu peux venir m'aider s'il te plaît ? Juliette, appelle le 15 s'il te plaît.
Juliette s'est approchée, avec le téléphone.
- À quoi tu penses ?
- Un œdème de Quincke. Regarde…
L'homme, qui a de plus en plus de mal à respirer, est très rouge dans le cou.
- Monsieur, est-ce que vous êtes allergique à quelque chose ?
Juliette, téléphone en main, appelle le SAMU et court chercher un stylo d'adrénaline injectable. Pendant ce temps, Jean-Paul et Julien tentent d'amener le jeune homme dans la salle de confidentialité, à l'abri des regards.
- Bonjour, Juliette Nicolas, pharmacienne à la Pharmacie du Marché. Nous sommes en présence d'un homme, une vingtaine d'années. Il a des difficultés à respirer, et présente un œdème au niveau du cou et du torse. À la question « êtes-vous allergique », il a répondu positif par un signe de tête… Je crois qu'il est en train de perdre connaissance. Sa tension s'est effondrée. Est-ce qu'on peut injecter l'adrénaline ?
- J'ai son nom. Je vais aller consulter l'historique du dossier, lance Jean-Paul après avoir trouvé le portefeuille du patient.
- Injectez une dose de 300 µg, et préparer un second stylo si besoin. On vous envoie une équipe, confirme le médecin régulateur du SAMU.
Julien regarde Juliette, le stylo injecteur d'adrénaline en main. Il n'en mène pas large, mais la vie de cet homme est entre ses mains. S'il n'intervient pas, le choc anaphylactique va tuer le jeune patient. Au bout du fil, le médecin régulateur l'encourage :
- Allez-y, dans la cuisse. Relevez légèrement le bermuda. Et dites-moi quand c'est fait.
Julien pose l'extrémité du stylo injecteur contre la cuisse du jeune homme, maintenant inconscient. Il appuie sur le bouton pour déclencher l'injection et laisse le stylo plusieurs secondes en place, sans bouger.
- C'est fait. Et maintenant ?
- Une de nos équipes arrive. Votre homme a eu de la chance de trouver une pharmacie sur son chemin… Bravo Julien. Laissez votre patient en PLS.
Julien s'assoit. Juliette parle au jeune homme, qui se réveille doucement.
Plus tard, lorsque l’équipe du SAMU arrive, le patient va mieux, mais sa respiration est encore très difficile. Le Dr Nassouf, médecin du SAMU, se renseigne sur la dose d’adrénaline injectée, et félicite Julien, pour son opération de sauvetage réussie.