« Notre ADN est constamment en train d’être endommagé », explique Terence Strick (Institut de biologie Jacques Monod à Paris). Par les UV du soleil, les produits toxiques contenus dans la fumée du tabac, les rayonnements ionisants. Également, des erreurs sont introduites dans notre ADN lorsque ce dernier se réplique, ce qu’a démontré Paul Modrich.
Pour remédier à ces phénomènes de dégradation, des moyens de réparation de l’ADN fonctionnent constamment. Différents procédés existent : la réparation par excision de base, découverte par Thomas Lindahl, ou la réparation par excision de nucléotides, établie par Aziz Sancar. Ces phénomènes de réparation sont essentiels à la survie des cellules. Ils les protègent de l’apparition de mutations susceptibles de provoquer un cancer. Suivant les personnes, les cellules fabriquent plus ou moins de ces protéines de réparation.
« Les découvertes des trois chercheurs ont donc d’abord aidé à comprendre le mécanisme initial de développement des cancers », déclare Alain Sarasin (Institut Gustave Roussy, Villejuif). Elles aident aussi à mieux connaître certains cancers lorsqu’ils sont d’origine génétique, comme le cancer du côlon ou du sein.
Des mécanismes anti-chimio
Par ailleurs, les travaux des lauréats ont mis en lumière l’action néfaste de ces moyens de réparation chez les patients traités par chimiothérapie. En effet, « la chimiothérapie vise à endommager l’ADN des cellules malades. Mais les systèmes de réparation d’ADN vont essayer de détricoter le travail des médecins en enlevant les dégâts que ceux-ci essayent d’infliger aux cellules cancéreuses », explique Terence Strick.
Chez les patients qui ont des niveaux de réparation d’ADN élevé, les cellules cancéreuses parviennent parfois à survivre à la chimiothérapie du fait de ce mécanisme de défense. Ainsi, « en comprenant mieux ces phénomènes, on pourra tester les capacités de réparation des malades et personnaliser leur traitement », explique Alain Sarasin.
Certains chercheurs vont plus loin. « Maintenant que les ingrédients de la réparation sont identifiés, on va essayer de créer des molécules qui vont inhiber la réparation de l’ADN », explique Jean-Marc Egly, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France. Ainsi, on pourrait faire des bithérapies, en combinant la chimiothérapie avec d’autres médicaments qui peuvent empêcher la réparation de l’ADN des cellules tumorales. « Ce qui pourrait rendre le traitement plus efficace », considère Nora Goosen, chercheur à l’université de Leiden aux Pays-Bas. Toutefois, la médecine clinique n’en est pas encore à ce stade. Et certains spécialistes se montrent plus réservés sur la bithérapie. « Le problème, c’est que pour le moment on ne sait pas cibler les cellules tumorales spécifiquement. Donc, si vous donnez au malade une molécule qui inhibe la réparation des cellules cancéreuses, cela risque d’empêcher aussi la réparation des autres cellules comme les globules blancs, et d’être toxique », souligne Alain Sarasin. Il reste du chemin à parcourir avant de percer tous les secrets de la biochimie et de la physiopathologie.