Si le marché du commerce illicite sur Internet et de la contrefaçon emprunte le réseau virtuel, les dégâts sanitaires et économiques qu’il cause, sont eux bien réels. Et la répression promet de l’être tout autant si l’on en croit Unifab, l’Union des fabricants, et l’Alcci, l’Association de lutte contre le commerce illicite.
Dans un livre blanc publié aujourd'hui, les industriels proposent la création d’un observatoire doté d’un dispositif permettant un signalement et une transmission simplifiés à la justice. Cette offensive concerne, dans un premier temps, les ventes en ligne de médicaments, de tabac et de vins et spiritueux. Les marchés les plus lucratifs si l’on considère le volume des ventes illicites au niveau européen : 15,9 milliards d’euros rien que pour le médicament (1). L’essor de cette cybercriminalité, sans égal dans le commerce mondial, est soutenu par le comportement des consommateurs. Tous domaines confondus, les Français ont ainsi doublé leurs dépenses sur Internet entre 2012 et 2017. L’émergence de nouveaux canaux tels que les plateformes de commerce électronique, (eBay, PriceMinister, Alibaba…) et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram…) a permis aux trafiquants de pénétrer de nouveaux territoires. Le médicament n’échappe pas à leur emprise. Unifab et Alcci citent ainsi, dans leur livre blanc, les chiffres de l’OMS selon lesquels un patient a 90 % de risque d’être trompé en achetant des médicaments sur Internet « dont 50 % de risque de tomber sur un médicament falsifié ». Au niveau mondial, jusqu’à 50 000 pharmacies en ligne seraient actives, dont la plupart ne respectent pas les lois de protection des patients. 30 000 de ces sites illicites cibleraient l’Europe.
Des sites illégaux en France
La France, en dépit de la législation européenne et de l’apposition obligatoire d’un logo sur les sites de vente en ligne, n’est pas épargnée par diverses formes de piratage (lire ci-dessous). Le livre blanc rappelle ainsi qu’en septembre 2017, une opération d’Interpol avait permis la saisie en France de plus de 433 000 produits de santé illicites et de 1,4 tonne de produits en vrac. Plus de 70 % d’entre eux provenaient d’Asie. Au cours de la même opération, 185 sites Internet illégaux de vente de faux médicaments avaient été identifiés en France.
Le phénomène n’est pas nouveau. Pire, il répond à une demande croissante du consommateur. En juin 2014, une enquête menée par Pfizer (2) établissait ainsi qu’environ 7 millions de Français avaient admis avoir acheté des médicaments habituellement administrés sous prescription, en dehors des circuits autorisés. À leur corps défendant, les consommateurs français peuvent aussi être bernés par des fausses pharmacies. « Certains sites basés en Inde sont parfois rédigés en partie en français », note le livre blanc. Toutes les classes thérapeutiques sont concernées par la contrefaçon, poursuivent Unifab et Alcci, qui notent cependant « que les saisies concernent le plus souvent des produits dopants, stéroïdes anabolisants et des médicaments de style de vie et de confort, produits de dysfonction érectile ou amaigrissant ». Et de rappeler que « les médicaments falsifiés font des centaines de milliers de victimes dans le monde chaque année ». Au-delà des risques sanitaires et de la violation de la propriété intellectuelle, le fléau de la contrefaçon engendre également des pertes économiques qui se traduisent par un manque à gagner pour le secteur (1,4 milliard d’euros) et des suppressions d’emplois (1).
Front commun
Ces trois facteurs conjugués fournissent à Unifab et Alcii les arguments décisifs pour tenter de déjouer enfin les agissements des cybercriminels. Selon les industriels, la meilleure arme pourrait être la constitution d’un observatoire « dédié à la lutte sur Internet contre le commerce illicite de produits dont la distribution et la vente sont réglementés ». En l’occurrence l’alcool, le tabac et le médicament. Cet observatoire serait placé sous l’égide des autorités publiques, composé de policiers, gendarmes, agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes. Y seraient associés des représentants du secteur privé, des fédérations professionnelles et des organisations professionnelles ainsi que « dans le secteur des médicaments, l’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens ».
Il rassemblerait ainsi tous les acteurs concernés autour d’un dispositif d’échanges fondé sur une relation public/privé « dans une logique de collecte et de partage de l’information, de l’identification de filières illicites, pour permettre ensuite la mise en place de dispositifs de prévention, de régulation et de répression ». Un système de signalement en ligne émanant des consommateurs ou d’entreprises ou d’acteurs du service public, avec un seul point de contact, permettra une transmission à la justice.
À condition toutefois d’accroître la spécialisation des juridictions, et de mettre en place une réponse législative adaptée. Et d’agir sur l’ensemble des acteurs numériques, organismes bancaires, réseaux sociaux, places de marché… L'objectif est la création d'une force de frappe apte à prendre de vitesse ces cybercriminels habitués à avoir une longueur d’avance.
(1) Sources Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) chiffres 2017.
(2) Étude Cracking Counterfeit Europe réalisée dans 14 pays européens.