ILS SONT TROIS cette année. Trois à recevoir le prix Nobel de médecine ou physiologie pour leurs travaux sur la protection des chromosomes par les télomères et la télomérase. Au centre de ces recherches, Elizabeth Blackburn (San Francisco) auprès de qui ont étroitement collaboré Carol Greider (Baltimore) et Jack Szostak (Boston).
Cette très haute distinction récompense la réponse apportée par ces chercheurs à une question dont les prémisses remontent à 1930 : comment les chromosomes peuvent-ils être copiés de façon complète au cours des divisions cellulaires et comment sont-ils protégés des dégradations ? Grâce aux télomères et à la télomérase, ont-ils répondu.
Pour mieux comprendre l’explication finale, mieux vaut présenter la question telle qu’elle s’est posée au départ. À cette époque, deux futurs prix Nobel, Hermann Müller (récompensé en 1946) et Barbara McClintock (Nobel 1983) mettent en évidence des structures aux extrémités des chromosomes, les télomères. Du grec « telos », la fin, et « meros », la partie. Les deux scientifiques remarquent que des éléments empêchent les chromosomes de se lier les uns aux autres. S’ils constatent le rôle protecteur des télomères, ils n’ont pas idée de leur mode de fonctionnement.
Deux décennies plus tard, le problème se complique. Dans les années 1950, le mode de copie des gènes commence à s’éclaircir. Lorsqu’une cellule est sur le point de se diviser, les molécules d’ADN sont copiées, base par base, grâce à l’ADN polymérase. Théoriquement, l’extrême bout de l’un des deux brins d’ADN ne devrait pas être copié. Les chromosomes devraient être raccourcis à chaque division cellulaire. Or, il n’en est rien (cf. figure, partie 1). Que se passe-t-il ?
Une séquence d’ADN : CCCCAA.
C’est Elizabeth Blackburn qui ouvre la voie de la réponse, en s’intéressant au séquençage de l’ADN. Elle travaille alors sur un organisme cilié unicellulaire, Tetrahymena. Elle découvre une séquence d’ADN se répétant aux extrémités des chromosomes : CCCCAA. Elle n’en comprend pas encore la signification, lorsqu’elle présente ses travaux lors d’un congrès en 1980.
Cette recherche retient l’attention d’un scientifique, Jack Szostak, qui pour sa part avait constaté qu’une espèce de minichromosome, en fait une molécule linéaire d’ADN, était rapidement dégradée lors de son introduction dans une levure.
Les deux scientifiques pressentent un lien commun à leurs travaux. Ils décident d’une expérimentation inter-espèces (cf. figure, partie 2). Elizabeth Blackburn isole la séquence CCCCAA de l’ADN de Tetrahymena. Elle la confie à Jack Szostak qui la couple à ses minichromosomes et introduit l’ensemble dans des cellules de levures. À leur grande surprise, ils constatent que la séquence de télomère protège les minichromosomes de la destruction. La découverte est publiée en 1982. L’étonnement est d’autant plus grand que la protection dans la levure est obtenue à partir de télomères d’un autre organisme, Tetrahymena. Il s’agit donc d’un mécanisme fondamental jusque-là inconnu. Le caractère quasi universel, des plantes à l’homme, de cette séquence caractéristique des télomères sera établi un peu plus tard.
Voici pour la première partie de la recherche : l’ADN des télomères protège les chromosomes.
Sans négliger l’extrémité terminale.
La seconde partie, implique toujours Elizabeth Blackburn, mais cette fois avec l’une de ses étudiantes, Carol Greider. Cherchant à aller plus avant, elles se demandent si la formation de l’ADN des télomères pourrait être sous la responsabilité d’une enzyme jusqu’alors inconnue. L’histoire retiendra que c’est le jour de Noël 1984 que Carol Greider découvre les manifestations d’une activité enzymatique dans un extrait cellulaire. Les deux chercheuses la baptisent télomérase. Après purification, elles s’aperçoivent qu’elle se compose à la fois d’ARN et de protéine (cf. figure, partie 3). Elles constatent que la partie ARN porte la séquence CCCCAA et synthétise les répétitions de télomère sur les extrémités chromosomiques. La télomérase assure l’extension de l’ADN du télomère, ce qui permet à l’ADN polymérase de copier la totalité du chromosome sans négliger l’extrémité terminale.
La réponse à la seconde interrogation est obtenue.
Pourquoi et comment restant les maîtres mots de la recherche, les mêmes équipes se sont intéressées aux rôles des télomères dans la cellule. L’équipe de J. Szostak identifie des cellules de levure porteuses de mutations qui conduisent au raccourcissement progressif des télomères. Elles ont du mal à se développer, voire ne peuvent se diviser. De son côté, E. Blackburn introduit des mutations dans l’ARN de la télomérase sur des Tetrahymena. Elle observe les mêmes perturbations de la croissance. Les deux équipes se rejoignent aussi sur un point : une sénescence prématurée des cellules. À l’inverse, des télomères fonctionnels évitent des dommages chromosomiques et retardent la sénescence. L’équipe de Carol Greider fait des constats similaires sur les chromosomes humains. La séquence d’ADN des télomères attire des protéines qui forment une coiffe protectrice sur les fragiles extrémités des brins d’ADN.
Cette implication des télomères dans les phénomènes de sénescence a fait suggérer que leur raccourcissement était la raison du vieillissement. En fait, ils n’en seraient que l’une de ses composantes.
En physiologie, comme les cellules se divisent assez peu, leurs chromosomes sont à faible risque de raccourcissement et donc l’activité de la télomérase demeure faible. À l’inverse, les cellules cancéreuses se divisent à l’infini. L’explication en serait une activité élevée de la télomérase.
Pour le jury du prix Nobel, ces découvertes ont « ajouté une dimension à notre compréhension de la cellule, fait la lumière sur des mécanismes de maladies et stimulé le développement de nouvelles thérapeutiques ».