Comme il se doit, chaque planche est accompagnée d’un nom en latin avec sa traduction, d’une description botanique et des usages médicinaux afférents. Ainsi l’on croise la capillaire de Montpellier ou cheveu-de-Vénus, une « fougère printanière aux frondes délicates », nous disent les auteurs, réputée pour soigner l’asthme et la coqueluche. Un peu plus loin, on apprend que cette vivace persistante eut une autre destination quand « Le Procope, café-restaurant renommé, créé à Paris en 1684, propose une célèbre boisson, la bavaroise, à base de sirop de capillaire, de thé ou de café additionné de lait, qui sera à l’origine de la crème éponyme ». On peut s’attarder aussi auprès de l’Aloe Vera, seule plante en pot de l’Herbier qui était cultivée dans de nombreuses villes italiennes à la Renaissance, déjà connue pour les qualités médicinales de son suc, anti-inflammatoire, et qui est toujours très prisé aujourd’hui par l’industrie cosmétologique. Une autre illustration montre le colchique d’automne en majesté devant un petit village champêtre en arrière-plan. On rencontre encore l’euphorbe maritime au bord de la mer, le narcisse, surnommé l’herbe à la Vierge, efficace contre les fièvres intermittentes, la dysenterie et l’épilepsie, la violette odorante chère à l’homéopathie, ou bien le macéron qui « avec la vogue des légumes oubliés a toutes les chances de retrouver sa place à table ».
Dans les pas d'un érudit
Car le propos de l’ouvrage, écrit à trois mains, est de redonner naissance à un ouvrage ancien mais en l’adaptant au goût du jour. Les trois auteurs se frayent ainsi des chemins botaniques, médicinaux, culinaires et floraux en suivant les pas d’un artiste et d’un érudit de la Renaissance. Il s’agit d’une promenade et de digressions de passionnés : Marc Jeanson, botaniste et agronome, responsable de l’Herbier national au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, récemment commissaire associé de la grande exposition Jardins au Grand Palais (mars à juillet 2017) y apporte ses connaissances scientifiques, tandis que Stéphane Marie, amoureux des jardins et animateur de l’émission Silence ça pousse sur France 5 depuis 1998, y prodigue ses conseils sur la mise en culture des plantes, aux côtés de Dany Sautot, commissaire d’exposition et auteure de nombreux ouvrages consacrés aux arts décoratifs et au design.
Tous les trois se sont penchés sur un merveilleux manuscrit méconnu conservé à la bibliothèque du British Muséum de Londres, réalisé par l’artiste italien Gherardo Cibo (1512-1600) pour les aquarelles et par le botaniste réputé Pierandrea Mattioli (1501-1577) pour son interprétation du De Materia Medica de Dioscoride, texte de référence plusieurs fois édité au XVIe siècle. Matière artistique et matière scientifique dialoguent et se confondent dans un syncrétisme cher à la période humaniste de la Renaissance, faisant des allers-retours entre description scientifique et représentation naturaliste. Il s’agit d’« une réinterprétation d’un manuscrit inédit qui n’existe qu’à travers quelques copies dans le monde. C’est un herbier passionnant car l’époque dans laquelle il s’inscrit est très intéressante en termes de basculement des idées et de progrès. Il est le reflet d’une pensée scientifique en pleine révolution », explique Marc Jeanson qui a pris beaucoup de plaisir à procéder à l’identification des plantes, qui a parfois pu changer depuis le XVIe siècle, menant à un travail de relecture contemporaine. Impossible de tout citer ici mais le livre se feuillette avec gourmandise pour qui aime l’art, les plantes et le jardinage. Les aquarelles ne sont pas de simples dessins de plantes sur un fond neutre mais de véritables petites peintures qui mettent en scène les divers spécimens de plantes sur des fonds de paysages champêtres, habités parfois d’un château ou d’une silhouette de ville, animés aussi de personnages, cueilleurs d’herbe, moines, paysans… Toute la singularité de ce travail réside ici, dans ces visions arcadiennes d’une botanique idéalisée, où le peintre se met même en scène dans l’une d’elle, en train de dessiner le gaillet croisette en fleurs.
Les plantes sont aussi des œuvres d’art
Le manuscrit, récemment attribué à Gherardo Cibo, figure aujourd’hui parmi les premiers herbiers remarquables de l’époque moderne, qui rendent la pharmacopée chatoyante. Marc Jeanson et Stéphane Marie livrent un petit joyau d’édition aussi instructif que merveilleux grâce auquel nous apprenons justement que Gherardo Cibo fut un des premiers faiseurs d’herbiers, qu’il entreprit de faire sécher les plantes et de les presser pour les archiver et les conserver. Ce même Cibo, dont plusieurs ouvrages sont conservés à la Biblioteca Angelica de Rome (notamment un herbier comprenant la représentation de plus de 2 000 spécimens rassemblés en cinq volumes), fut un élève du botaniste Luca Ghini qui enseignait à Bologne et qui est connu pour avoir créé les premiers jardins botaniques à Florence et à Pise.
Ce livre nous fait donc revivre l’époque des premières observations botaniques à vocation scientifique et la correspondance bouillonnante qui existait entre les érudits de la Renaissance, ce dont témoigne une lettre envoyée par Mattioli à Cibo et retrouvée dans un des manuscrits de ce dernier : « Ces illustrations sont les plus belles qu’il m’ait été donné de voir de toute ma vie, elles me donnent matière à croire, cher Maître, que dans le domaine de la dépiction des plantes par le pinceau vous n’avez pas d’égal dans le monde… ». Tout est dit. Les plantes sont aussi des œuvres d’art qui peuvent soigner. La pharmacie a elle aussi ses belles pages illustrées.
Stéphane Marie et Marc Jeanson, L’Herbier de Gheardo Cibo, éd. du Chêne, 2017, 39,90 €.