On parle beaucoup du gluten et de la sensibilité au gluten. Mais des travaux présentés au congrès européen de gastro-entérologie (UEG) à Vienne par le Pr Detlef Schuppan (Université Johannes Gutenberg, Allemagne ; École Médicale de Harvard, États-Unis) déplacent les projecteurs sur une autre protéine, ou plutôt sur une famille de protéines appelées inhibiteurs de l’amylase-trypsine (ATI), que l’on trouve dans le blé et d’autres céréales contenant du gluten (seigle, orge).
Immunité innée
Les travaux de Schuppan et son équipe, menés chez la souris, ont montré que les ATIs consommés oralement peuvent activer l’immunité innée dans l’intestin, via le récepteur TLR4 (Toll-like receptor 4) situé sur les monocytes, les macrophages et les cellules dendritiques de la muqueuse intestinale, et déclencher ainsi une inflammation intestinale mais aussi une inflammation systémique, y compris dans les ganglions lymphatiques, les reins, la rate et le cerveau.
« En plus de contribuer au développement des maladies inflammatoires intestinales, nous pensons que les ATIs peuvent favoriser l'inflammation d’autres affections chroniques extra-intestinales liées à l’immunité », explique le Pr Schuppan.
Pour les personnes en bonne santé, l’alimentation normale à base de blé entraînerait une activation immune minime, asymptomatique et sans conséquence. Toutefois, chez les sujets atteints de maladies inflammatoires préexistantes, l’effet pro-inflammatoire des ATIs pourrait aggraver la maladie. C’est du moins ce que suggèrent les résultats (non encore publiés par l’équipe) dans des modèles murins d’inflammation/auto-immunité chronique. L’aggravation de la maladie dépend de la dose d’ATIs, et résulte aussi d’une co-stimulation par le TLR4 des cellules présentatrices d’antigènes (immunité acquise).
Faut-il renommer la sensibilité au gluten non cœliaque ?
Les ATIs, plutôt que le gluten, pourraient aussi contribuer au développement de la sensibilité au gluten non cœliaque, un syndrome décrit depuis une quarantaine d’années, longtemps mis en doute mais aujourd’hui admis. Le diagnostic est posé après exclusion de la maladie cœliaque et de l’allergie au blé (et des intolérances alimentaires non inflammatoires), pour expliquer des symptômes souvent abdominaux qui surviennent quelques heures à quelques jours après consommation de gluten alimentaire et qui s’améliorent rapidement avec un régime sans gluten.
« L’inflammation intestinale observée dans la sensibilité au gluten non cœliaque (immunité innée) est différente de l’inflammation causée par la maladie cœliaque (auto-immunité/immunité acquise) et nous pensons qu’elle n’est pas déclenchée par les protéines gluten, souligne le Pr Schuppan qui suggère de renommer le syndrome. Les ATIs, qui contaminent le gluten commercial, ont été identifiés comme les facteurs déclenchants les plus probables de la SGNC. » Ces résultats pourraient donc redéfinir la SGNC comme un syndrome incluant principalement des symptômes extra-intestinaux ou comme l’aggravation d’une maladie préexistante après consommation d’aliments contenant du gluten (ATIs).
Études de provocation
Avant de pouvoir recommander un régime minimisant le gluten (exclusion de plus de 90 %), des études cliniques sont nécessaires. Des études de provocation par gluten/ATIs durant un régime sans gluten ont déjà débuté ou sont en vue chez des patients atteints d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), ou d’une maladie auto-immune (lupus, sclérose en plaques) ou métabolique (stéatose hépatique non-alcoolique), ou encore d’une maladie inflammatoire mal définie comme le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie. « Nous espérons que cette recherche pourra nous amener à recommander un régime sans ATI afin d’aider à traiter une variété de troubles immunologiques sévères », conclut le Pr Schuppan.