Dès son introduction, le Dr Jean-Michel Lecerf (Institut Pasteur de Lille, service de Nutrition) a rappelé que depuis plus d’un demi-siècle, les travaux portant sur les relations entre l’alimentation et la santé s’étaient surtout focalisés sur les nutriments considérés isolément, autrement dit, les lipides, glucides, protéines et micronutriments, parmi lesquels bien entendu les vitamines. Et ce, avec pour priorité la prise en charge des carences, surtout vitaminiques.
Mais cette approche réductionniste apparaît inadaptée aux pathologies multifactorielles et chroniques qui affectent aujourd’hui les populations. L’idée fondamentale de base, que l’on peut résumer par l’expression « nous ne mangeons pas des nutriments mais des aliments », étant que les effets des nutriments sur la santé peuvent être différents s'ils sont combinés au sein de structures particulières que sont les matrices alimentaires. Cette notion de matrice traduit la complexité des aliments et fait prendre conscience du fait que la somme des nutriments ne suffit pas à expliquer tous les effets des aliments en termes de physiologie et de santé. « Cela s’explique, a souligné le Dr Lecerf, par le fait qu’au sein des aliments, les nutriments sont intriqués et sont associés à d’autres constituants, comme les probiotiques dans les produits laitiers fermentés, susceptibles de générer de nombreux types d’interactions complexes et de modifier la biodisponibilité de tel ou tel élément (c’est ainsi, par exemple, que l’absorption intestinale du calcium est augmentée par la présence de lactose) ». Le fait qu’on ait identifié plus de 2 000 substances différentes dans le lait et les produits laitiers laisse penser à l’existence d’un nombre très élevé d’interactions possibles.
Des effets différents d’une même substance selon sa source
De nombreuses études épidémiologiques ou interventionnelles témoignent de l’intérêt de ce concept. C’est ainsi qu’il a été notamment montré que, à apport identique en acides gras saturés, la consommation de fromage augmente nettement moins le taux de cholestérol total et de LDL-cholestérol que celle de beurre. Effet expliqué par la formation de savons calciques insolubles éliminés dans les selles suite à l’hydrolyse des triglycérides par la lipase intestinale, le beurre n’apportant pas de calcium à l’inverse des produits laitiers. Les acides gras n’ont ainsi donc pas le même effet en fonction de la matrice.
D’autres études se sont focalisées sur l’impact de la consommation de graisses saturées au regard du risque cardiovasculaire. Parmi celles-ci, le Dr Lecerf a évoqué une étude épidémiologique ayant suivi pendant une dizaine d’années environ 5 200 sujets. Ses résultats montrent que l’effet de la consommation quotidienne de 5 g de graisse saturée laitière diminue le risque de 21 %, tandis que celle de 5 g de graisse carnée l’augmente de 26 %.
La consommation de lait n'est pas remplaçable.
S’agissant de l’impact de l’origine des acides gras saturés sur le risque de développer un diabète de type 2 (étude suédoise, près de 2 700 personnes suivies 14 ans), les personnes qui consomment plus de produits laitiers ont moins de risque cardiovasculaire que celles qui en consomment moins, tandis que ce même risque est augmenté par la consommation de viande, même maigre.
Une autre illustration de l’effet matrice concerne une méta-analyse ayant montré qu’une supplémentation calcique égale ou supérieure à 500 mg/j majore d’environ 30 % l’incidence d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou de mort subite, ce qui n’est pas observé dans le cas d’apports laitiers de calcium. « Cela signifie que le lait c’est du calcium, mais avec d’autres choses et que sa consommation n’est pas remplaçable par la prise de suppléments minéraux », a souligné le Dr Lecerf.
Sans épuiser le sujet, citons encore l’étude des effets du phosphore sur la pression artérielle (seul l’apport des produits laitiers est associé à un bénéfice, les autres sources étant plutôt délétères de ce point de vue) et les liens entre l’origine des protéines et la résistance osseuse (les protéines animales sont associées à une meilleure solidité de l’os – cet effet étant encore plus marqué pour les protéines laitières – ce qui n’est pas observé avec les protéines d’origine végétale).
« Tout indique, a conclu le Dr Lecerf, qu’il est aujourd’hui nécessaire de considérer avec attention ces nouvelles voies ouvertes en matière de nutrition ».
D'après une communication ESPEN/CERIN (Centre de recherche et d’information nutritionnelles) Madrid 4 septembre 2018.