Les indicateurs économiques de l’officine sortent timidement du rouge. En 2017, le chiffre d’affaires (CA) moyen progresse très légèrement (de 0,47 % pour CGP, 0,58 % pour Fiducial, 1,20 % pour KPMG) et « les baisses de CA rencontrées en 2014 et 2015 sont du passé », indique Philippe Becker, de Fiducial.
Toutefois, même si la spirale de baisses est inversée, « il faut rester très prudent », insiste-t-il. « On note une évolution positive, mais qui reste en dessous de l’inflation », tempère également Joël Lecoeur, de CGP. « Ce sont les CA réalisés avec le non-remboursable et la parapharmacie qui tirent vers le haut cette très légère croissance », précise pour sa part Joël Vellozzi, de KPMG. Quoi qu’il en soit, une majorité de pharmacies est en évolution positive, et elles sont de plus en plus nombreuses dans ce cas. Mais ce sont les officines de centre commercial qui tirent le mieux leur épingle du jeu, tandis que les officines des zones rurales et de gros bourg sont à la traîne. « Les perdants sont plutôt les pharmacies rurales et de petites tailles, relève Philippe Becker. Aujourd’hui, il y a clairement une prime à la taille. » La rémunération nette est d’ailleurs proportionnelle au CA de l’officine (voir graphique). « D’où la course à la taille, car il est plus facile de se rémunérer sur une pharmacie de 2 millions d’euros de CA, indique Joël Lecoeur. Aujourd’hui, on observe que deux pharmaciens achètent 1 officine de 2 millions d’euros, plutôt qu’un pharmacien achète seul une pharmacie à 1 million d’euros. » « L'apparition de mégas pharmacies est un mouvement qu’il faut avoir en tête », souligne de son côté Philippe Becker. Dans les structures plus importantes, on peut gagner plus tout en ayant une meilleure qualité de vie. « On est passé de l’électron à l’atome et de l’atome à la grosse molécule », illustre l’expert de Fiducial.
Une même vision
Toutefois, Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), fait remarquer que ces chiffres dressent un bilan de 2017 et ne tiennent donc pas compte de la stratégie de la profession pour les prochaines années. Le dernier avenant conventionnel signé en juillet 2017 avec l’assurance-maladie confirme ainsi le virage du pharmacien plus professionnel de santé, davantage tourné vers l’accompagnement des patients, le suivi des traitements et l’amélioration de l’observance. « Si ce que l’on veut faire fonctionne, vous verrez que les officines de proximité auront une marge brute supérieure de 5 points par rapport aux pharmacies de centres commerciaux », affirme Philippe Besset. « Nous avons choisi le camp du patient », indique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), rejoint sur ce point par le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Nous partageons la même vision de ce que doit être la pharmacie de demain, une pharmacie qui s’intéresse avant tout à l’intérêt du patient », explique Philippe Gaertner, rappelant que les divergences syndicales portent sur le volet économique. Et le président de la FSPF d'exhorter ses confrères à se saisir des nouvelles missions. « L’objectif de 20 bilans de médication avant la fin de l’année est atteignable dans toutes les pharmacies », insiste-t-il, assurant que l’évolution du métier envisagée est applicable à toutes les officines.
Des évolutions à financer
Toutefois, pour Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO), les « moyennes » et les « petites » pharmacies doivent se transformer pour pouvoir réaliser ces nouvelles missions. Mais pour cela, la profession a besoin d’argent frais. Comment l’obtenir ? Soit par une levée de fonds, soit par un mécanisme coopératif entre pharmaciens, répond, sans vraiment trancher, le président de l’UDGPO. « Il faut que ce soit les professionnels de santé qui organisent ce fonds, affirme l’économiste de la santé Jean-Jacques Zambrowski. Il faut trouver les moyens de faire en sorte que le monde du médicament puisse favoriser l’évolution et la pérennisation du monde du médicament. » Gilles Bonnefond met pour sa part en garde contre ceux qui disent souhaiter investir dans le réseau mais qui, pour s’assurer une rentabilité, détruisent à côté. Résultat, « on se retrouve avec un système de santé fragilisé », craint le président de l’USPO.
Christian Grenier, président de Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies, pense, lui, que la pharmacie doit se décider à prendre le virage numérique, car aujourd’hui « elle n’est même pas sur la ligne de départ ». « On va vers une transformation très forte de l’exercice avec un face-à-face avec le patient plus important, augure-t-il. Le pharmacien doit donc obligatoirement changer le concept de son mode d’exercice. » Pour lui, la pharmacie doit faire sa transformation pour devenir « l’Amazon de la santé ». Le maillage officinal représente un atout pour mettre le produit à disposition partout sur le territoire, mais il faudra une logistique sans faille, insiste le président de Federgy, indiquant que les groupements ont un rôle de support.
Des atouts à faire valoir
« La pharmacie, telle qu’on l’a connu aux 19e et 20e siècles, n’a aucune raison de perdurer », tranche au final l’économiste Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé. Mais, ajoute-t-il, « vous avez une chance énorme, vous êtes la profession avec l’avenir le plus prometteur ». Selon l’économiste, le vieillissement de la population, le développement des pathologies chroniques, l'aisance des officinaux à utiliser la technologie et même la désertification médicale, qui accordera un rôle plus important aux pharmaciens ruraux, sont autant de gages d’avenir. Quant aux éventuelles menaces qui pèsent sur le réseau, Frédéric Bizard les balaie d’un revers de main. À ses yeux, il n’y a pas d’intérêt à développer un modèle low cost du médicament en confiant la vente de spécialités aux grandes surfaces, ni d’ouvrir le capital des pharmacies. « Le modèle de demain sera-t-il basé sur un besoin capitalistique fort ? Je ne crois pas », argumente le président de l’Institut Santé. Les officinaux ont même, selon lui, des atouts à faire valoir pour résister aux assauts des géants du Net ou de la grande distribution : un rôle en santé publique, une proximité, une expertise et l’indépendance professionnelle. « L’expertise, la proximité et la technologie : c’est justement la vision pour l’avenir de notre profession », conclut Philippe Besset.
*L’étude statistique présentée par le trio CGP, Fiducial et KPMG a porté respectivement sur 1740, 581 et 532 officines, soit un total de 2 853 pharmacies, ce qui représente 13 % du réseau officinal.