L’ibrutinib est en train de bousculer la prise en charge des hémopathies B. Les résultats obtenus dans les formes réfractaires ont propulsé cette molécule hors norme développée par les laboratoires Pharmacyclics et Janssen comme « percée thérapeutique majeure » par la FDA. Une autorisation de mise sur le marché (AMM) très rapide a suivi outre-atlantique mais aussi en Europe, qui a de son côté favorisé un développement accéléré en accordant le statut de « médicament orphelin ».
Pour le Pr Véronique Leblond, hématologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, « l’ibrutinib a réellement révolutionné la pratique pour les lymphomes non hodgkiniens du manteau et pour les leucémies lymphoïdes chroniques (LLC) avec des anomalies cytogénétiques de mauvais pronostic (délétion 17p ou mutation p53) ou réfractaires à la chimiothérapie ».
L’ANSM a approuvé l’ibrutinib dans trois indications pour : le traitement des patients adultes atteints d’un lymphome à cellules du manteau en rechute ou réfractaire ; d’une LLC ayant reçu au moins un traitement antérieur ou en première intention en cas de délétion 17p ou de mutation p53 dans les cas où une chimio-immunothérapie n’est pas appropriée ; d’une macroglobulinémie de Waldenström ayant reçu au moins un traitement antérieur ou en première intention dans les cas où une chimio-immunothérapie n’est pas appropriée.
Premier de sa classe
L’ibrutinib est une molécule de mécanisme original, le premier de sa classe, puisque c’est un inhibiteur de la tyrosine kinase de Bruton (BTK). Les cellules malignes expriment un niveau plus élevé d’activité de BTK sur les voies de signalisation BCR, ce qui augmente leur survie et leur prolifération. Il ne semble pas que l’ibrutinib ait d’impact majeur sur les cellules B normales. Cette voie oncogénique permet de qualifier l’ibrutinib de nouvelle thérapie ciblée.
Comme l’explique le Pr Laurent Degos, hématologue et cancérologue à l’hôpital Saint-Louis, « l’activation du lymphocyte B (LB) passe par la fixation de l’antigène sur un de ses récepteurs de surface, qui transmet le signal à l’intérieur de la cellule grâce à une enzyme kinase appelée Bruton. Si cette dernière est bloquée, c’est toute la cascade d’activation qui est bloquée. De ce fait on bloque totalement sa fonction de manière spécifique. Le LB ne se multiplie plus, ne migre plus, ne se loge plus dans les ganglions. Toute maladie du LB peut être traitée par cette molécule, hormis les maladies indirectes, agissant en dessous ou indépendantes de ce signal. »
« Actuellement, l’ibrutinib permet un allongement de la survie dans les indications de l’AMM », commente le Pr Leblond. Par rapport à ce qui est observé avec les molécules classiques, les taux de réponse sont élevés et durables, même si le taux de rémission complète dans la LLC reste modeste. L’association à des anticorps monoclonaux ou des chimiothérapies devraient permettre d’augmenter les taux de réponse et de rémissions complètes. Plusieurs études randomisées sont en cours actuellement. « L’association avec le GA101, l’obinutuzumab, semble prometteuse, même s’il est encore un peu tôt », avance le Pr Leblond. Une alternative à l’ibrutinib est apparue, l’idélalisib, « qui se positionne dans les mêmes indications, mais qui se révèle plus toxique », indique l’hématologue de la Pitié-Salpêtrière.