HANNAH SZENES est une héroïne en Israël, qui vénère sa mémoire, alors qu’elle a une très faible notoriété dans le reste du monde. Martine Gozlan nous propose donc une histoire vraie qui surprendra et bouleversera tous ceux qui n’avaient jamais entendu parler de Hannah et ignoraient qu’elle représente une figure remarquable, et en bien des points, unique du sionisme. Cette narration, puisée aux sources les plus fiables et les plus variées, avec une bibliographie impressionnante, se lit comme un roman, non seulement parce que l’auteur a un sens remarquable du récit, mais parce que l’audace de cette très jeune femme, morte à 23 ans, ses convictions, sa capacité à remettre en question tout ce que l’ordre établi lui propose, y compris dans le pays vers lequel elle a eu tant de mal à émigrer, font d’elle une héroïne exceptionnelle, une héroïne juive, d’abord hongroise puis sioniste, poétesse, soldate, espionne.
Dans une époque apocalyptique, celle d’une guerre impitoyable où les juifs furent exterminés, la valeur n’attend pas le nombre des années. Hanna qutte sa mère installée à Budapest et, au terme d’un voyage pénible, elle arrive en Israël ; elle participe à la vie des kibboutzim, mais reste insatisfaite. Elle s’inquiète du sort de son frère, elle veut que sa mère la rejoigne. Elle accepte de travailler pour les Britanniques qui souhaitent envoyer un groupe de jeunes juifs en Europe centrale. Elle se fait donc parachuter en Yougoslavie (où elle retrouve l’antisémitisme chez les partisans de Tito résistant contre Hitler), elle rejoint la Hongrie et là, elle est arrêtée, jugée et enfin condamnée à mort à quelques heures de la libération du pays par les Russes.
Ce choix du sacrifice par une toute jeune femme qui avait pourtant gagné, grâce à son courage, le droit d’avoir une vie en Terre promise est ce qui fait du parcours de Hannah un destin exemplaire. Qui, parmi les plus courageux d’entre nous, aurait choisi un tel risque après avoir bravé tous les dangers pour rejoindre un pays libre et se serait lancé, de surcroît, dans une entreprise aussi imprécise, aussi effrayante et dont l’utilité, compte tenu des moyens à peu près nuls dont disposait ce petit groupe de desperados juifs, ne sautait pas aux yeux ?
Exil heureux et retour fatal.
Je recommande la lecture de ce livre qui, pour éclairer un moment de l’histoire, n’en ressemble pas moins à un roman, tant l’auteur met de talent à explorer l’âme de cette jeune fille forgée par l’adversité mais qui, en une autre époque, aurait eu une vie d’artiste consacrée. L’exil heureux et le fatal retour aux sources déchirent une âme à la fois impulsive et mûre. À la joie d’avoir rejoint la Palestine s’oppose la hantise d’avoir laissé sa mère en Hongrie. La guerre, qu’elle aurait pu oublier dans les tâches ménagères du kibboutz, n’a cessé de l’appeler, comme un abîme qui s’ouvre devant vous,vous donne le vertige et vous aspire. Hannah Szenes est la jeune femme tombée entre deux mondes, celui qui naît à peine dans l’espoir et celui qui sombre dans une sauvagerie indescriptible. Le travail de Mme Gozlan est publié au moment où les déçus d’Israël sont nombreux, où les victimes d’hier sont allègrement décrites comme les bourreaux d’aujourd’hui, où l’attachement à Israël se dissout dans le conflit israélo-palestinien. Il fallait du courage à l’auteur, qui a raconté le printemps arabe comme personne et a prouvé le vif intérêt et même l’empathie que lui inspire le monde arabe, pour composer cette ode à une héroïne juive au moment où il est de bon ton de dénigrer l’État hébreu. Mais qu’importent les préventions des uns ou des autres, ce beau livre se suffit à lui-même.
Hannah Szenes, l’étoile foudroyée. Ed. L’Archipel. 18,95 euros.